- J'saurai ben l'empêcher votre projet, scélérats ; mais qu'est-ce donc que c'est que s't'engeance-Jà ?
+ J'saurai ben l'empêcher votre projet, scélérats ; mais qu'est-ce donc que c'est que s't'engeance-là ?
Fallait que les Français eussent bien peu de chose à faire quand ils imaginèrent les jacobins.
+ «... J'ai eu tort de vous appeler vieil âne.
+ Je déclare que le mot m'est échappé dans un mouvement de colère.
+
+ contre les baudets.
+
+ Je retire le mot.
+
+ C'est tout ce que je puis faire, malheureusement.
+
+ Les liens qui vont nous rapprocher, me rendent bien douce cette démarche... spontanée.
+
+ Ô vérité !
+ Qu'il fait froid dans ton puitS.
+
+ Je suis, monsieur, etc. »
+
+ L'adresse maintenant.
+
+ Monsieur_Madinier.
+
+ Qualités : Ma foi, je ne lui en sais qu'une, c'est d'être l'oncle de Mathilde, et Mathilde n'a qu'un défaut, c'est d'être la nièce de Madinier, et de m'avoir ordonné d'écrire cette lettre d'excuses,
+
+ Pierre, portez cette lettre à son adresse, au grand galop.
+ Vous dites ?...
+ Vous êtes seul... personne pour ouvrir.
+ Eh bien, j'ouvrirai, moi.
+ Allez Vite...
+ Vite...
+
+ L'hiver dernier, après des péripéties qui rempliraient un in-quarto, une charmante jeune fille que j'adorais de loin, daigna consentir à abréger la distance.
+ Ce fut céleste... jusqu'au jour de mon admission comme prétendu.
+ Je retrouvai mes dix-huit_ans. avec les avantages do l'expérience et de la comparaison en plus.
+ Mais, depuis six semaines, j'expie un bonheur immérité on me présente à la famille.
+ La mère de Mathilde a des collatéraux dans toutes les communes avoisinant Paris.
+ Aussi, je possède ma banlieue !
+ Hier, dimanche, jour de Chantilly, c'était le tour du parrain_Boisseau.
+ Chez le parrain_Boisseau, ne voilà-t-il pas que je suis, pendant toute la fête, assailli des provocations d'un certain Madinier, qui, du potage aux cigares, se fit un jeu de me contredire.
+ Ma foi, n'y tenant plus, j'intercalai dans ma riposte l'épithète de « vieil âne. »
+ Madinier, qui semblait n'attendre que cela, et même le désirer un peu, se lève,
+
+ se boutonne... jusqu'au plafond.
+ « il suffit, Monsieur. » puis, bientôt il s'en va.
+ Je ne songe plus, moi, qu'à finir gaîment la journée auprès de Mathilde.
+ Au moment des adieux, elle médit, en l'air, comme cela: « À_propos, n'oubliez pas ta petite lettre d'excuses.
+ - Laquelle ?
+ - Vous recevrez demain la visite de Monsieur_Cambrefort, le témoin ordinaire de Monsieur_Madinier.
+ Ah! on va donc se battre ?
+ Vous êtes fou.
+ De vous, je crois bien !
+ Mettez-vous donc à ma place, s'il lui arrivait malheur.
+ Parbleu !
+ J'aimerais mieux alors être à votre place qu'à la sienne.
+ Charmant mais n'oubliez pas la petite lettre.
+ Comment, c'est donc sérieux ?
+ – Je le veux.
+ Mathilde finit toutefois par reconnaître que ce dernier argument n'est pas pur de tout sophisme. « Voyons, c'est un homme excellent, de plus c'est mon oncle. il a ses manies.vous ne le corrigerez pas.
+ Du moins, avais-je raison ?
+ On a toujours raison contre mon oncle. pourvu qu'on n'oublie pas la petite lettre. »
+ - J'ai promis, et ce matin l'aurore aux doigts de rose m'a tendu cette plume.
+ Par Minerve, il y a longtemps que je ne m'étais levé aussi tôt pour écrire !
+ Qu'en diraient les Ernestine, les Acacia, les Frédéric. et tous ceux qu'afflige ma décadence, s'ils apprenaient que j'en suis déjà à demander pardon.
+
+ Qui cela peut-il être ?...
+ Eh bien, on n'ouvre pas...
+ Ah !
+ J'oubliais, je suis seul à la maison.
+
+ Un monsieur petit, gros et rageur qui n'a affaire qu'à moi.
+ Je l'ai prié de dire son nom, il n'a pas voulu sortir de ça - « je suis l'ami en question ; » c'est le plénipotentiaire de Madinier.
+ Si Mathilde n'avait pas ma parole, ce diplomate serait bien reçu !
+
+ Veuillez vous asseoir, monsieur.
+
+ Je ne dois pas m'asseoir, Monsieur.
+
+ Vive la liberté !
+ Monsieur Cambrefort.
+
+ D'où savez-vous mon nom ?
+
+ De la même bouche qui m'a appris quels nobles liens de coeur vous unissent à mon...
+
+ À votre adversaire !
+
+ À mon adversaire, soit. (A part.) Il est raide.
+
+ On ne me voit pas, il est vrai, suivre Madinier dans ces réunions d'élite où il est si bien fait pour briller. Je ne suis pas l'ami des jours de soleil, Monsieur !
+
+ C'est prudent, quand on est sanguin, étoffé...
+
+ Mais que Madinier me cherche, il me trouve.
+
+ Nous ne sommes pas de ce siècle... Monsieur.
+
+ Le dix-huitième avait du bon... Monsieur !
+
+ Sommes-nous assez Théâtre-Français !
+
+ Hier, Madinier insulté lâchement par.
+
+ Voyons, le nom de vos amis, les armes, l'endroit ?
+ Ce ne sera pas ma faute si les règles sont violées.
+
+ Vous ne faites que cela, violer tes règles, depuis votre entrée.
+
+ Je ne suis pas curieux... mais, je voudrais bien voir cela.
+
+ C'est très facile.
+ Il me semble que malgré tous vos avantages, papa Cambrefort.
+
+ Pa... pa... pa... pa !
+
+ Pa... pardon, je reprends, il me semble que malgré tons vos avantages, vous êtes incomplet.
+ J'ai lu dans les bons auteurs que vous deviez être deux à venir ici sanglés pour la bataille... deux à me regarder de travers, deux à refuser de vous asseoir.
+
+ Le second témoin de Madinier ne pourra se joindre à moi que dans deux heures.
+ Parlons de vos témoins à vous.
+
+ Coïncidence flatteuse !
+ Mon alter_ego, mon Cambrefort, si j'ose dire, est absent de Paris ; il y rentrera bientôt, mais je ne sais pas quand, du moins à une heure ou à deux jours près.
+
+ Mon pauvre monsieur, quel honnête dénouement prétendez-vous donner à l'affaire ?
+
+ Le plus honnête de tous, et contenu implicitement dans une petite note que j'ai fait parvenir à Monsieur_Madinier.
+
+ Ah !
+ Mais...
+ Ah !
+ Mais !
+ C'est toute une éducation à refaire, et je n'ai pas le temps.
+ Apprenez donc que jusqu'à la minute précise où l'on croisera le fer, où l'on amorcera les pistolets.
+ Madinier et vous, vous n'existez plus l'un pour l'autre que dans la personne de vos témoins.
+
+ Fort bien...
+ Mais attendu que le fer ne sera pas croisé, et que les pistolets resteront au vestiaire.
+ Je romps la chaîne des traditions, et j'accoste cet excellent Madinier.
+
+ Mais alors...
+ Je crains d'avoir compris...
+ C'est une lettre d'excuses !
+ Vous ne dites pas non.
+
+ Bravo !
+ C'est le chemin de la santé.
+ On vit longtemps, jeune homme, avec ce régime !
+ Seulement, gare les froids de pied !
+ Ventre de biche !
+ Comme disait un de nos rois, vous n'êtes pas romanesque.
+
+ Monsieur_Cambrefort vous sortez de votre mandat, je crois.
+
+ Qu'est-ce qu'il dit, le petit douillet ?
+ Rassurez-vous : pas de duel, pas de témoin, n'est-ce pas ?
+ Tu comprends !
+ Hein ?
+ Pas de témoin, ergo... plus de mandat.
+ C'est donc l'homme privé qui vous parle.
+
+ Alors désormais c'est donc aussi à l'homme privé que je m'adresse ?
+
+ Sans l'ombre du plus léger doute...
+
+ Eh bien, papa Cambrefort.
+ Vous êtes un insolent.
+
+ Qu'est-ce qu'il dit ?...
+ Insolent !...
+
+ In... so... lent, papa Cambrefort.
+
+ Mon col... J'étouffe.
+ Tu vis encore!
+
+ À présent que nous nous sommes compris...
+ Voyons...
+ Calmez-vous... et puis après...
+ Le grand air, mon brave...
+ Autrement, tout cela finirait mal...
+ J'en ai peur.
+
+ Ah !
+ Vous avez peur...
+ Et vous avez raison d'avoir peur.
+
+ Regardez-vous donc...
+ Il y a de quoi...
+ Le grand air, je le répète.
+
+ Tu vas avoir de mes nouvelles... toi.
+
+ Bon voyage...
+ Gros vilain.
+
+ Bon voyage !
+ Ah ça !
+ Est-ce que j'ai le cauchemar, moi, ou bien est-ce Charenton qui déverse son trop plein dans mon entresol ?
+ La plaisanterie a suffisamment duré, et je le ferai savoir à qui de droit.
+ Pour ce qui est de l'imbécile qui me vaut cette algarade...
+ Son compte est régie.
+ Quand je serai le mari de Mathilde, et que j'aurai, comme on dit, l'oreille de la chambre, mon premier décret sera l'exclusion à vie de Madinier.
+ Et l'on dit le droit chemin, la grande route du mariage.
+ Grande route... soit... mais diantrement mal entretenue.
+
+ Cet animal de Pierre n'est pas encore rentré. Qui cela peut-il être? Sans doute, l'autre témoin de l'oncle de Mathilde. Décidément il tient trop de place dans ma vie, ce Madinier.
+
+ À la bonne heure, cette fois c'est lui-même.
+
+ Allons...
+ Je suis enchanté que ce soit vous.
+
+ J'ai reçu votre lettre, elle est d'un bon style, et m'a impressionné favorablement.
+
+ Allons... tant mieux...
+ Vous déjeunez avec moi?
+
+ Vous ne le pensez pas.
+
+ C'est de trop bonne heure pour vous ?
+ Alors que diriez-vous, pour attendre, d'un biscuit et de quelques doigts de vieillissime porto ?
+
+ Oh !
+ Comme il me tente !
+
+ Non... non.
+
+ Vous faites des cérémonies... mon oncle.
+
+ Votre oncle. pas encore, ce me semble.
+
+ Pas ce matin sans doute... mais dans une quinzaine.
+ Quelle figure sombre !
+ Il n'est rien arrivé de fâcheux à Mathilde ?
+
+ Ce n'est pas pour elle...
+ C'est pour vous qu'il faut trembler...
+ Vous être mis à dos un pareil adversaire!1
+
+ Quel adversaire ?
+ Vous et moi, ne sommes-nous pas amis ?
+
+ Eh !
+ Qui parle de vous et de moi ?
+ Moi, je suis conciliant, avec trois lignes d'excuse, on m'apaise, vous le savez.
+ Mais Cambrefort n'est pas de ce caractère.
+
+ Eh !
+ Que m'importe son caractère ?
+ Nous ne devons pas nous rencontrer souvent.
+
+ Souvent...
+ Non...
+ Mais au moins une fois.
+
+ Eh bien...
+ Va pour une fois !
+
+ Insensé !
+ Vous comptez peut-être sur le choix des armes ; mais Cambrefort se tient mordicus pour l'offensé.
+
+ Monsieur Madinier, un seul mot, je vous prie.
+ Avant de vous connaître, je passais aux yeux du monde, et aux miens propres, pour avoir quelque suite dans les idées.
+ Or, depuis hier, et un peu grâce à vous, je ne sais plus du tout, mais du tout, où j'en suis.
+ Récapitulons, s'il vous plaît.
+ Hier, vous ouvrez le feu contre moi, je riposte un peu vivement, je vous fais amende honorable votre main touche la mienne.
+ Ça va bien...
+ Pas mal et vous... i ni fini.
+ Que me chantez-vous encore avec vos épées, vos pistolets, vos adversaires ?
+
+ Mes adversaires ?
+ Vous vous trompez...
+ Il n'y en a qu'un, et malheureusement c'est Cambrefort que je représente.
+
+ Et c'est vous, mon ami, qui acceptez de pareilles missions ?
+
+ Est-ce qu'il a hésité, lui !...
+ Cette nuit même, n'est-il pas venu Me réveiller en sursaut, pour me rappeler qu'une des conditions de la réussite est une nuit de bon sommeil, qui nous fait arriver sur le terrain, plein de fraîcheur et de calme?.
+
+ Et je vous séparerais !...
+ Non, non...
+ Je lui pardonne.
+
+ Riez toujours !
+ Pour ce que cela durera.
+
+ C'est donc sérieux...
+ Eh bien, tant pis pour Cambrefort !
+ Je me sens en veine...
+
+ Cambrefort a eu cinq duels.
+ Il est encore là...
+ Seul, il pourrait vous en faire le récit.
+
+ Comment !
+ Seul !
+ Il a donc mangé aussi les témoins !
+
+ Je vous préviens que vous êtes sur une pente déplorable.
+
+ Alors, glissons-y gaiement.
+
+ Tiens...
+ Une idée...
+ Non, ce n'est pas une idée.
+
+ Qui sait si en procédant avec une extrême douceur, il ne serait pas encore temps ?...
+
+ Une autre lettre d'excuses...
+ Merci !
+ Passe encore lorsqu'il s'agissait de vous.
+
+ Je tiens mon idée.
+
+ Bien que cela ne m'ait point paru être l'opinion de l'honnête Cambrefort.
+
+ De l'honnête et loyal Cambrefort.
+
+ On dirait que vous voulez me troubler.
+ Faites attention, Mathilde aime Cambrefort autant que moi-même.
+ Ne vous acharnez donc pas contre lui.
+
+ contre l'honnête Cambrefort !
+ Ce serait dommage.
+ Enfin, il vous plaît ainsi et il en abuse.
+
+ À propos, vous a-t-il dit pourquoi il me provoque ?
+
+ Vous auriez, paraît-il, poussé la folie jusqu'à le traiter d'insolent.
+
+ J'ai eu tort. j'aurais dû plutôt le traiter d'hypocrite!
+
+ Je vous arrête.
+ Cambrefort n'est pas seulement pour moi un ami, c'est mon unique ami ; l'être que je respecte le plus au monde. Tandis que.
+
+ .... Tandis que moi, je ne suis rien pour vous, c'est entendu.
+ Je reprends : aussi longtemps que votre unique ami Cambrefort se borna à me manquer personnellement dans l'exercice de son mandat, je demeurai patient et calme.
+ Mais lorsqu'à la nouvelle de mes démarches auprès de vous, il se permit de ricaner. alors, je n'y tins plus.
+ Son rire insultant signifiait si clairement des excuses à Madinier !
+ Quelle alliance de mots cocasse !
+ Comment cela s'épelle-t-il ?
+ Vrai !
+ La chose ne s'est pas encore vue !
+ Le bonhomme même n'y voudra point croire.
+
+ Madinier se boutonne.
+
+ Moi je vous honore et je l'ai appelé insolent.
+
+ Un homme qui paraissait tant m'admirer !
+ À qui se fier, grands dieux !
+
+ Allons !
+ Ferme !
+
+ Mais il va me payer cela.
+ Je serai votre témoin contre lui.
+
+ Ah ! Mais non...
+
+ et votre nièce Mathilde qui t'aime autant que vous-même.
+
+ Je démasquerai le traître.
+
+ Il dira que vous vous battez par procuration.
+
+ On ne le croira pas.
+
+ Je me suis mis dedans...
+ C'est à recommencer.
+
+ Ah !
+ J'entends qu'on est allé ouvrir ; Pierre est rentré.
+
+ Madinier, tu te rouilles.
+ Tu cribles de tricheries le noble jeu des armes...
+ Tu ne devrais plus être ici.
+
+ L'individu qui me parle semble ignorer que la journée n'est pas encore finie.
+
+ Madinier, je te trouve métaphysique...
+ Tâche donc, une fois dans ta vie, d'être clair.
+
+ Et vous, tâchez donc, maître Cambrefort, de parler une fois, dans votre vie, comme les gens bien élevés !
+ Sans doute, ce n'est pas votre faute, si l'éducation première.
+
+ Madinier...
+ Restez-en là !
+ Je t'aime, tu le sais... mais dès que l'on touche à mes souvenirs d'enfance, je suis un baril_de_poudre.
+
+ En effet, vous sautez facilement.
+
+ Madinier...
+ Tu vas trop loin.
+
+ Eh bien quoi !
+ Vous voyez qu'on peut être un homme d'une bravoure ordinaire, et vous défier.
+
+ Tu me dis : vous...
+ Soit...
+ Mais moi je veux te tutoyer une dernière fois pour te dire : Madinier, tu n'es qu'une vieille b...
+
+ Monsieur !
+ Vous insultez mon oncle chez lui !
+
+ Oui, noble coeur, tu l'as bien dit : chez moi car j'y viendrai demeurer.
+
+ Ah !
+ Bien non, alors...
+ Il faut qu'ils se battent.
+
+ Vous, Monsieur, du moins, vous êtes dans votre bon sens, ne pourriez-vous décider entre nous ?
+
+ Pardon...
+ Il me semble que nous avons d'abord un compte personnel à régler ensemble.
+
+ Pare celle-là si tu peux.
+
+ Réglons-le sur-le-champ.
+ J'ai eu des torts envers vous, mais c'est la faute
+
+ de cette vieille b...
+
+ Léon, fais ton devoir, et choisis le sabre.
+
+ Monsieur, nous sommes faits pour nous entendre.
+
+ Monsieur voudrait accaparer mon neveu.
+
+ Pour un homme comblé des bienfaits de l'éducation première, Monsieur a des façons de s'exprimer !...
+ Monsieur aurait tort d'ailleurs de croire qu'il est seul à avoir un neveu.
+ J'ai un neveu aussi, moi...
+ Norbert_Demaury qui sera ici dans une heure.
+
+ Qu'est-ce que vous dites ?
+ Vous êtes l'oncle de Norbert ?
+
+ Sans doute.
+ Vous le connaissez?
+
+ C'est mon meilleur ami de collège, le témoin dont je vous parlais tantôt.
+
+ Sa dernière lettre me t'annonce pour un de ces jours-ci.
+
+ Je le sais...
+ Il doit venir loger chez moi.
+
+ Mon neveu place bien ses amitiés.
+
+ Et je vous laisserais vous battre !
+
+ Cachez-moi ce traître je ne veux plus le voir.
+
+ Je ne vous ai rien fait...
+ Moi, donnez-moi la main.
+
+ À vous, très volontiers.
+
+ Et vous, Monsieur_Cambrefort, refuserez-vous de me donner la main ?
+
+ À vous, je la donne de grand coeur.
+
+ Le moment est solennel, messieurs.
+ Plus j'y réfléchis, plus il me paraît inévitable, qu'entre gens tels que vous, le différend soit tranché par les armes, et que ce soir, un seul de vous reste vivant.
+ J'oserais même ajouter qu'il vaudrait mieux peut-être que tous deux... en même temps...
+ Je n'affirme rien...
+ Je crois...
+ Ce n'est pas un conseil, ce n'est qu'une opinion, décidez vous-mêmes.
+ Vous savez d'ailleurs, mes deux héros, qu'il ne s'agit point ici d'un billet pour Versailles, avec retour.
+ Du pays où vous allez, personne, je vous dois cet aveu, n'est encore revenu.
+
+ Ils cherchent leurs mouchoirs, c'est le moment.
+
+ Ah !
+ Ma position est délicate !
+ Vous perdre au moment même où je sens que j'allais commencer à m'habituer à vous.
+
+ Je vais chercher Mathilde et sa mère pour les faire jouir de ce tableau. Après cela, si ma fiancée n'est pas contente.
+
+ Noble coeur !
+ Il a des appels irrésistibles !
+
+ Si Madinier ne m'avait pas adressé de ces insultes. qui retentissent.
+
+ Si Cambrefort n'avait pas levé le masque !
+ Ce qu'on ignore ne fait pas de mal, mais après ces lâches calomnies.
+
+ Quelles calomnies ?
+
+ Ah !
+ C'est trop fort.
+
+ Qu'est-ce qui est trop fort ?
+
+ Le conscrit s'est moqué de nous.
+ Ce n'est pas la peine pour cela de nous tuer.
+
+ Passe pour vous !
+ Mais moi je ne suis pas une girouette.
+
+ Comment !
+ Tu ne vois pas ?...
+
+ Il est certain que je ne vois rien du même oeil que vous.
+
+ Madinier, diverses choses ressortent pour moi de tout ceci : la première et la seconde, c'est que l'on s'est moqué de nous, et que l'on a bien fait.
+ La troisième et la dernière, c'est que nous devrions aller déjeuner.
+ Nous nous sommes comportés, nous d'ordinaire si chevaliers, comme de simples rustres envers ce jeune homme... nous avons probablement retardé son premier repas.
+
+ Je n'ai pas déjeuné plus que lui, ce me semble.
+
+ N'importe !...
+ J'ai des remords.
+ Nous avons été indiscrets, Madinier.
+
+ Et tu crois qu'il a osé me donner une leçon !
+
+ Oh !
+ Non...
+ Mais il a l'air de l'avoir osé.
+
+ Tu vas lui demander raison de ses plats artifices en vue de nous désunir.
+
+ Non... mon brave... non... j'en ai assez.
+
+ C'est bien, j'irai seul, jusqu'au bout.
+
+ Voyons...
+ Sois donc raisonnable, c'est parce que l'estomac te tire, que tu dis cela.
+
+ Il est vrai que je meurs de faim et de soif.
+
+ Je t'emmène...
+ Mais qu'est-ce ceci?
+
+ Ah !
+ Mon ami !
+ C'est cruel!
+
+ Regarde, ami... trois couverts !
+
+ C'est encore moi !
+
+ Et d'où venez-vous, s'il vous plaît ?
+
+ Madinier, tu sais de quoi nous sommes convenus... du liant, du moelleux, s'il vous plait !
+
+ En attendant les côtelettes, tâtez-moi ce Sauterne.
+ Vous, demandez d'où je viens, je vais vous le dire.
+ Mathilde et sa mère, impatientes de connaître les suites de notre petit... malentendu, ont fait arrêter leur voiture devant ma porte et m'ont demandé.
+ La nouvelle de notre arrangement les a surprises de la façon la plus agréable.
+
+ Diavolo, vous ne passez pas pour un monsieur commode aux yeux de votre famille.
+
+ J'ai eu beau faire, pas moyen de l'éviter à la noce.
+
+ Mon neveu, ne fût-ce que pour ce cachet jaune, vous aurez souvent ma visite.
+
+ Je vous préviens loyalement qu'il ne m'en reste que deux bouteilles,
+
+ et si c'est comme ça, je te promets que nous les viderons aujourd'hui.
+
Tous droits d'exécution et de traduction réservés
+
+ Qu'est-ce que tu dis ?
+ Que je n'ai pas de talent ?
+ Trouves-en donc un comme moi à la foire aux pains_d_épices.
+
+ Je te dis que tu joues comme un pied.
+
+ Si je jouais comme un pied, je ne gagnerais pas vingt-cinq francs par semaine.
+ Dans mon engagement je ne monte pas et je ne démonte pas la baraque ; - tandis que toi tu n'as que dix-huit francs par semaine et tu montes et tu démontes.
+
+ Fait-il le malin parce qu'il joue le rôle de Cyrano à la Foire !
+
+ Si je joue le rôle de Cyrano, c'est que je suis copain avec Edmond.
+
+ Toi, tu connais Rostand ?
+
+ Si je le connais ?...
+ Sur que je le connais...
+ Sans ça est-ce qu'il aurait laissé jouer sa pièce à la Foire ?
+ Il m'a même dit : Du moment que c'est toi qui joues le rôle de Coquelin, je te donne l'autorisation.
+
+ Ah !
+ Ah !
+ Ah !
+
+ Ya pas de ah ! ah ! ah !...
+ La preuve, c'est que Edmond a ajouté : S'il y a des vers que tu n'as pas bien dans la bouche, je te donne la permission de les changer.
+
+ Tout ça, c'est des boniments de femmes seules.
+ Si tu joues le rôle de Cyrano, c'est que tu fais du boniment à la patronne de la baraque... et tu sais pourtant que j'ai un béguin pour elle.
+
+ C'est elle qui est « chipée pour mon guiasse ».
+
+ Ça ne se passera pas comme ça !
+ Il y en a un de nous deux qui sortira de la boite.
+
+ Ça ne sera pas moi sûrement !
+
+ Ni moi !
+
+ Si, ça sera toi !
+
+ Non, ce sera toi !
+
+ C'est ce que nous verrons !
+
+ Non, mais quoi, tu ne t'es donc pas regardé ?
+ Eh !...
+ Espèce de m'as-tu vu à la mie de pain.,
+
+ Et toi, Eh !
+ Résidu_de_cabot !
+
+ Paillasse à la manque !
+
+ Va donc, Eh !
+ Comique d'amphithéâtre !
+
+ Et toi, Eh !
+ Récipient à pommes cuites !
+
+ En scène !...
+ On a crié en scène !..
+ À nous!
+
+ Ah la la !
+ C'est la septième reluisante depuis cet après-midi...
+ Allons-y !
+
+ Je lui ai joué un petit tour qui n'est pas piqué des vers !
+
+ Ah !
+ Je n'ai pas de talent !...
+ Attends mon salaud !
+ Je viens de lui faire une mistoufle qui n'est pas dans un sac.
+
+ Zut !
+ Quelle odeur !...
+ Mais qu'est-ce qu'il a ?...
+ Ah !
+ C'qu'il pue, c'cochon-là !
+
LOUIS PAR LA GRÂCE DE DIEU ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE, à nos amés et féaux Conseillers les Gens tenants nos Cours de Parlement Maîtres des Requêtes ordinaires de Notre Hôtel, Baillifs, Sénéchaux, Prévôts, leurs Lieutenants, et à tous autres de nos Justiciers et Officiers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bien amé Toussaint Quinet, Marchand Libraire de notre bonne ville de Paris, nous à fait remontrer qu'il désirerait faire imprimer une pièce de théâtre intitulée Marie Stuard Reine d'Écosse Tragédie, ce qu'il ne peut faire sans avoir sur ce nos lettres humblement requérant icelles. À CES CAUSES désirant favorablement traiter ledit exposant, nous lui avons permis et permettons par ces présentes de faire imprimer, vendre débiter en tous lieux de notre obéissance, ledit livre en telle marge et tel caractère et autant de fois que bon lui semblera durant le temps et espace de cinq ans, entiers et accomplis à conter du jour que ledit livre fera achevé d'imprimer pour la première fois, et faisons très expresses défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient de l'imprimer faire imprimer vendre ni débiter durant ledit temps en aucun lieu de notre obéissance sans le consentement de l'exposant, sous prétexte d'augmentation, correction, changement de titre, fausses marques ou autres en quelque sorte et manière que ce soit, à peine de trois mille livres d'amende payable sans déport, nonobstant oppositions ou appellations quelconques par chacun des contrevenants, applicables un tiers à nous, un tiers à l'Hôtel Dieu de notre bonne ville de Paris, et l'autre tiers audit exposant, confiscation des exemplaires contrefaits et de tous dépens dommages et intérêts à condition qu'il en sera mis deux exemplaires en notre Bibliothèque publique, et un en celle de notre très cher et féal le sieur Séguier Chevalier Chancelier de France, avant que de les exposer en vente, à peine de nullité des présentes, du contenu desquelles nous vous mandons que vous fassiez jouir et user pleinement et paisiblement ledit exposant, et tous ceux qui auront droit de lui sans aucun empêchement, Voulons aussi qu'en mettant au commencement ou à la fin dudit liure un extrait des présentes, elles soient tenues pour dûment signifiées et que foi y soit ajoutée, et aux copies d'icelles collationnées par l'un de nos amés et féaux Conseillers et secrétaires, comme à l'original, Mandons aussi au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires sans demander autre permission. CAR TEL EST NOTRE PLAISIR, Nonobstant clameur de Haro, et Chartres Normandes et autres lettres à ce contraires.
+Donné à Chaillot le 14 jour de Mai l'an de grâce mil six cent trente huit et de notre règne le vingt huitième.
+Par le Roi en son Conseil,
+DE MONCEAUX.
+Les exemplaires ont été fournis, ainsi qu'il est porté par les lettres de Privilège.
+Achevé d'Imprimer pour la première fois le 19 Décembre 1638.
+Celle qui se jette à vos pieds est cette Marie Stuard à qui feu Henry II d'heureuse mémoire, donna François son fils pour mari, c'est celle qui reçut en ce temps là fur le front, la même Couronne que vous faites briller aujourd'hui fur la tête de mon Prince, et celle dont la condition, ni la vertu ne peuvent toutefois empêcher la perte. Véritablement MONSEIGNEUR, celui est un extrême avantage de ce qu'après avoir perdu le jour sur l'échafaud, vous lui voyez rendre l'honneur sur le Théâtre, et que si sa mort ne fut point vengée, au moins son innocence sera-t-elle défendue. Elle ne pouvait espérer toute Reine qu'elle est un traitement plus humain, ni plus favorable de votre EMINENCE qui s'est donné la peine elle-même d'ouïr ses aventures, et n'a pas refusé des larmes à la représentation d'un sujet si tragique ; Mais MONSEIGNEVR, il est à craindre que comme elle fut la plus infortunée de toutes les Princesses pendant sa vie, elle ne soit la plus malheureuse de toutes nos Dames illustres après sa mort ; je vois déjà renaître avec elle un nombre infinis d'ennemis, non pas plus forts, mais plus dangereux que les premiers ; car au moins les Conseillers d'Élisabeth quelques sévères qu'ils furent, examinèrent son procès auparavant de la juger, mais ceux-ci les plus injustes et les plus envieux de tous les juges, la veulent condamner sans l'avoir jamais ouïe ; Elle aurait eu sujet de crainte en son malheur, et d'appréhension en sa faiblesse, puisque la main de celui qui la redonne au public n'est pas si votre assez forte pour la défendre EMINENCE n'eut été son refuge, et ne l'eut prise en sa protection. Je ne présume pourtant pas si fort de moi MONSEIGNEUR, que de croire d'avoir pu vous contenter en ce rencontre, il faut atteindre au suprême degré de la perfection, ou de la vanité, pour se persuader de vous satisfaire ! De moi je m'estimerai toujours trop heureux, si mon poème ne m'a point fait rougir devant votre EMINENCE, s'il m'est permis d'aspirer à la gloire de ne vous avoir point déplu, et fi vous m'honorez tant que de souffrir que je prenne à jamais la qualité,
+MONsEIGNEUR,
+De votre très humble très obéissant et très fidèle serviteur
+Ce ne m'est pas seulement peu d'honneur, mais il m'est encore très glorieux d'avoir à marcher sur les traces des plus excellents hommes du dernier siècle, et d'écrire en suite des plus rares plumes du nôtre, une histoire si recommandable que celle de MARIE STUARD.
+Le divin Ronsard a tellement écrit en faveur de cette sage Princesse qu'à moins que d'être envieux, ou méchant tout à fait, on ne peut révoquer en doute son mérite.
+Bucanan même, ce grand génie de qui l'Europe entière a su le nom et dont la vivacité d'esprit n'a péché qu'en ce qu'elle fut trop satyrique, n'a pu s'empêcher de la louer en mourant quoi qu'il reçut pension des Luthériens pour écrire contre elle, ce qui doit passer pour marque infaillible de fa vertu puisque son ennemi se trouve son panégyriste. Messieurs de Bellieure, Delagueste, de la Motte Aigron, et de l'Aubépine (de qui les noms sont immortels) ont si généreusement parlé pour elle contre ses ennemis, par des harangues que nos curieux conservent encore, que les enfants de ses plus grands adversaires entreprennent aujourd'hui sa défense en Angleterre.
+Feu Monsieur l'Eminentissime Cardinal du Perron fit son Épitaphe peu de jours après son exécution, qui fut le Mercredi des Cendres de l'année 1587 à 4 heures du matin, ce tombeau les fera vivre l'une et l'autre en la mémoire de tous les hommes.
+Un livre intitulé Le martyre de la Reine d'Ecoffe imprimé sous main dans Londres, découvrit la vérité de son histoire, obscurcie par la méchanceté des Puritains qui semaient partout des libelles diffamatoires contre son innocence.
+La naissance de l'hérésie du sieur Florimond de Raymond parut en suite et fit savoir à toute la terre la longue tyrannie d'Élisabeth, et la constante patience de Marie.
+Depuis peu les Révérends Pères Caussin et Hilarion, ont fait des traités particuliers de la vie et de la mort de cette grande Reine, à qui tous les écrivains ensemble ne reprochent qu'un excès de bonté.
+C'est après tant d'illustres auteurs que je montre son innocence en ma Tragédie, c'est pourquoi, Lecteur, ce n'est pas pour t'en donner un argument que je t'écris, mais c'est pour t'avertir que je ne t'en donne point, un sujet si connu n'a pas besoin d'interprétation, et ce serait expliquer l'Histoire en l'Histoire même, car quoi que je me sois attaché particulièrement à la matière, j'ai disposé mon poème en telle sorte qu'il ne faut que l'ouïr, ou le lire pour le comprendre. Les récits y sont en leur lieux, tu n'y trouveras point de liaisons superflues, ni d'Episodes qui n'y soient nécessaires, les actions faites auparavant la scène, y font racontées sans aucune altération ou déguisement de la vérité de mon sujet ; j'ose avancer que sa lecture ni sa représentation n'ont pas mal réussi, puisqu'elles ont tiré des larmes des premiers, et des plus beaux yeux de la France : il est vrai que chacun voit les choses bien différemment, tel méprise ce qu'un autre estime, tous les visages font inégaux, et tous les esprits ne se ressemblent pas, je ne veux point user de tyrannie fur le tien, ni t'obliger d'adorer l'ouvrage de mes mains, parce que plusieurs l'ont approuvé, tu me favoriseras trop en le voyant d'un oeil sans passion, sois donc désintéressé pour être juge, et ne crois pas que je fois incapable de faire mieux, mais sache que je suis dans l'age où l'on commet encor tant de fautes qu'elles sont pardonnables alors qu'elles font belles.
+Adieu.
+ROTROU.
+POUCET DE MONTAVBAN.
+GILLET.
+GILLET.
+AVICE
+CHOPPIN.
+DU PELLETIER
+QALLEBRET
+SAINT GERMAIN.
+DE L'ISLE.
+LE COMTE.
+C'est à l'âme de CYRANO que je voulais dédier ce poème.
+Mais puisqu'elle a passé en vous, COQUELIN, c'est à vous que je le dédie.
+E. R.
+(Les quatre premiers actes en 1640, le cinquième en 1655.)
+Droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés.
+ +
+ Non...
+ Éloignez-vous...
+ Augustine !... Augus...
+
+ Ah !
+ Mort_Dieu !
+ Quel rêve !...
+ Je dormais...
+ Je vois ce que c'est...
+ La fatigue m'aura gagnée... et je me suis endormie avant d'avoir appelé Augustine...
+
+ Sonnons-la bien vite !...
+
+ Quatre heures !
+ C'est impossible !...
+ Quatre heures !...
+ Et mon bal a fini à une heure !
+ Comment !...
+ Voilà trois heures que je dors sur ce fauteuil...
+ Et, sans ce maudit rêve...
+ Conçoit-on cela ?...
+ Rêver de Monsieur_de_Mérinville, ce voisin d'en face... dont j'ai refusé de devenir la femme... et qui, hier encore, m'a écrit, en me menaçant de me compromettre... d'empêcher à tout prix mon mariage avec Gaston !...
+ Le vilain homme !...
+
+ La pauvre fille sera sans doute venue pendant mon sommeil... et elle n'aura pas osé me réveiller...
+ Personne...
+ Ni elle, ni Joseph !...
+ Ils se sont sans doute endormis dans l'antichambre...
+ Ils ont fait comme moi...
+ Allons les réveiller... et renvoyons-les bien vite dans leurs chambres !....
+
+ Qui est-ce qui ronfle donc comme cela ?...
+
+ Je suis seul...
+ Ça doit être moi...
+ Je me reconnais bien là !...
+ J'ai le sommeil si tumultueux, que je me réveille moi-même !...
+
+ Le fait est que j'avais besoin de ce petit moment de repos !
+ Parti hier soir de Caen...
+
+ Puis-je me faire ce récit à moi-même ?...
+ Oui...
+ Ils dansent là...
+ Ils jouent à la bouillotte !...
+
+ Parti hier soir de Caen...
+
+ C'est une habitude que j'ai de me raconter le lendemain mes faits et gestes de la veille...
+
+ Parti hier soir de Caen, j'arrive ce matin à Paris... après une nuit passée en chemin de fer...
+ Je descends rue_de_Tivoli... 24... chez mon neveu... qui, par parenthèse, est absent pour quarante-huit_heures...
+ J'étais encore à table ce soir... au dessert... je mangeais un pruneau... cru... quand tout à coup Bernardot, un vieil ami, arrive et me dit : « Veux-tu passer la soirée avec moi ?... »
+ Je lui réponds : « Je veux bien ! »
+ Bernardot me repartit : « Alors, mets ton habit_noir et tes souliers_vernis... je t'emmène au bal ! »
+ Je fais observer à Bernardot que je ne suis pas venu à Paris pour aller au bal...
+ Mais il insiste en me disant que je rencontrerai à ce bal un fonctionnaire du Ministère_de_la_Justice... dont j'ai le plus grand besoin... pas de la justice... ni du ministère... mais du fonctionnaire...
+ J'accepte, et nous voilà, à dix heures faisant notre entrée chez Madame_Dumonteil...
+ Une jeune veuve... que je ne connaissais pas...
+ Étant veuf moi-même, j'aime assez les veuves !
+ Être vainqueur dans ce duel à mort qu'on appelle le mariage, je la prouve une certaine supériorité...
+ Bernardot me présente, et nous nous mettons, au milieu de la foule, à la poursuite de mon fonctionnaire...
+ Je reçois des coups de coude...
+ J'en donne...
+ Au bout d'un quart d'heure de ce libre échange, Bernardot me dît !
+ « En attendant ce fonctionnaire, je vais mettre à la bouillotte !
+ Toi, va faire la cour à la maîtresse de la maison ! »
+ Je lui réponds : « Oui...»
+ Et je n'y vais pas... pour deux raisons : la première, parce que je n'aime pas causer avec les femmes...
+ Ça me rappelle la mienne... qui ne m'a que trop causé... d'ennuis ; la seconde, parce que j'avais passé la nuit en chemin de fer, que j'étais fatigué...
+ Aussi, qu'ai-je fait ?...
+ J'ai guigné... non, guetté...
+ Bah !
+ Je suis seul...
+ J'ai guigné un coin dans ce boudoir... et je m'y suis endormi pendant quelques minutes...
+ Pourvu que mon fonctionnaire, qui n'était pas encore arrivé tout à l'heure, ne soit pas déjà reparti !...
+ Il y a des fonctionnaires qui ne savent pas rester en place !...
+ Remettons mes gants...
+ Rajustons ma cravate...
+
+ Personne !...
+ Il parait qu'ils n'ont pas attendu mes ordres, pour remonter chez eux !...
+ Ils auront cru que je les avais oubliés !...
+
+ Ah !
+ Quelqu'un ici ?...
+
+ Oh !
+ La maîtresse de céans !...
+
+ Monsieur...
+ Qui êtes-vous ?...
+
+ Caudebec...
+ Isidore Caudebec...
+
+ Mais permettez donc, Madame....
+ Présenté ce soir par Bernardot...
+ Vous savez...
+ Bernardot... qui a un grand nez...
+
+ Oui, monsieur...
+ Je me souviens..,
+ Mais... que faites-vous dans ce boudoir ?...
+
+ J'étais venu respirer un moment... parce que la chaleur... mais je rentre dans le salon...
+
+ Pourquoi faire ?
+
+ Mais pour danser, Madame... car je danse encore... je polke même...
+
+ Danser... mais avec qui ?
+
+ Je suis pris.
+ Elle veut se faire inviter...
+
+ Avec vous, Madame, si vous voulez me faire l'honneur...
+
+ Mais, Monsieur... mon bal est fini...
+
+ Bah !...
+ Déjà ?
+
+ Il est quatre_heures_du_matin.
+
+ Quatre_heures !...
+
+ C'est juste, quatre heures cinq...
+ Je vais comme la Bourse.
+
+ Mais qu'avez-vous fait toute la nuit ?...
+ Où étiez-vous ?...
+
+ Je me suis... isolé... un moment... derrière cette tapisserie...
+
+ Je devine...
+ Vous avez dormi ?...
+
+ Oh ?...
+
+ Allons !
+ Ne vous en défendez pas.
+
+ Probablement...
+
+ Et, pendant ce temps, tout le monde est parti...
+
+ Comment ?...
+ Bernardot...
+ Le fonctionnaire ?...
+
+ Il n'y a plus personne.
+
+ Alors, madame...
+ Il ne me reste plus qu'à faire comme eux.
+
+ Veuillez agréer...
+
+ Ah !
+ Mon Dieu !...
+ Mon appartement est fermé...
+ Mes domestiques sont montés chez eux...
+
+ Nous allons les appeler.
+
+ Et le concierge, auquel on a dit qu'il n'y avait plus personne.
+
+ Je frapperai à son carreau...
+ Le cordon, s'il vous plaît !...
+ Je le réveillerai...
+
+ Y pensez-vous ?
+
+ Les concierges sont faits pour être réveillés...
+ D'ailleurs, je lui donnerai vingt sous...
+ Je connais les usages...
+
+ Mais c'est impossible, monsieur !...
+ Que dira-t-on en vous voyant sortir de chez moi...
+ Quand tout le monde est parti depuis plus de trois_heures ?...
+
+ Pardon... mais...
+ Je pense que vous n'avez pas la prétention de me retenir ?...
+
+ Oh !
+ Monsieur...
+
+ Alors, Madame, partons d'un principe ; pour sortir d'une maison, il n'y a que la porte.
+
+ Ou... ou la fenêtre...
+
+ Oui, quand on est au rez-de-chaussée ; mais quand on est au deuxième...
+
+ Au premier... au-dessus de l'entresol...
+
+ Je disais bien... au deuxième.
+
+ Monsieur... vous êtes un galant_homme ?...
+
+ Moi ?...
+ Oh !
+ Non, je suis marchand_de_laines.
+
+ Vous ne voudriez pas rendre une femme victime d'une situation que vous-même avez créée...
+
+ Moi ?
+
+ En vous endormant ?
+
+ C'est juste... j'ai eu tort.
+
+ Vous ne pouvez donc pas me refuser...
+
+ Essayez...
+
+ De descendre par la fenêtre ?...
+ Permettez, madame...
+ Il y a des propositions qu'on n'a pas le droit de faire à un marchand de laines... qui frise... la cinquantaine... qui l'a même passée...
+
+ Monsieur...
+ Il y va de mon honneur... C'est vous qui m'avez compromise...
+
+ Mon Dieu, Madame...
+ Si vous n'aviez pas d'entresol... certainement...
+ Je me dirais : Il n'y a que le premier... qui coûte...
+
+ Je vous en prie !...
+ La nuit est sombre...
+ La rue déserte...
+
+ Êtes-vous macadamisée ?
+
+ Ah !...
+ Retirez-vous ! :
+
+ Hein ?...
+ Quoi ?
+
+ Il y a de la lumière en face.
+
+ On n'est pas encore couché.
+
+ On me guette...
+ On m'épie.
+
+ Qui cela ?
+
+ Un monsieur... qui a juré de me perdre.
+ Il ne faut pas qu'il vous voie !
+
+ Alors, nous renonçons à la fenêtre ?... Tant mieux !
+
+ Ah !
+ Nous sommes sauvés !
+
+ Vraiment ?
+
+ Il est quatre_heures_et_demie.
+
+ Trente-cinq...
+ Je vais comme la Bourse.
+
+ Restez ici jusqu'à demain.
+
+ Jusqu'à demain ?
+
+ Je veux dire jusqu'à ce que le jour paraisse.
+ À sept heures, mes domestiques descendront...
+ Le concierge ouvrira la porte de la rue...
+ Vous pourrez sortir sans être remarqué.
+
+ Impossible, Madame !
+
+ Oh !
+ Monsieur... au nom de mon bonheur !... car, s'il faut faut vous dire, je suis sur le point de me remarier... d'épouser une personne que j'aime... et... j'ai ma réputation à garder.
+
+ Moi aussi, Madame... j'ai ma réputation à garder.
+
+ Oh !
+ La réputation d'un homme...
+
+ Il y a homme... et homme...
+ Je suis très moral, moi...
+ Tel que vous me voyez, Madame, je suis arrivé à cinquante-trois_ans sans avoir passé une nuit hors de chez moi.
+
+ Vraiment ?
+
+ Si je ne rentre pas, que pensera mon concierge ?
+
+ Il pensera la vérité... que vous êtes allé au bal.
+
+ Vous croyez ?
+
+ J'en suis sûre.
+
+ Oh !
+ Ne me refusez pas !
+
+ Mettez-vous là...
+ D'ailleurs, c'est votre faute, il ne fallait pas vous endormir dans mon boudoir.
+
+ Vous en parlez à votre aise...
+ Si vous aviez passé toute une nuit en wagon, avec un voisin qui s'étalait dans tous les sens.
+
+ Je vais rallumer le feu.
+
+ Ne vous donnez pas cette peine.
+
+ Voici du bois.
+
+ Que je suis donc fâché d'être venu à votre bal.
+
+ À sept_heures vous serez libre.
+
+ Jusque-là, ça ne va pas être amusant.
+
+ Deux_heures seront bien vite passées.
+
+ Certainement, Madame.
+ Il y a vingt-cinq_ans, je n'aurais pas mis le fait en doute... j'aurais même trouvé que deux_heures... mais aujourd'hui... à mon âge... je préférerais mon lit...
+
+ Tenez, monsieur... mettez ce coussin-là... derrière vous.
+
+ C'est plus doux.
+
+ Ce tabouret sous vos pieds...
+
+ Vous êtes trop bonne...
+
+ C'est égal, je suis bien fâché d'être venu à votre bal !...
+
+ Je le comprends...
+ Je suis moi-même désolée...
+
+ Enfin... c'est un malheur...
+
+ L'éclat des lumières vous fatigue peut-être ?...
+
+ La !...
+ C'est mieux, n'est-ce pas ?...
+
+ Oui... oui... c'est mieux.
+
+ Y a-t-il longtemps que vous n'étiez venu à Paris ?
+
+ Oui.
+
+ Aimez-vous notre ville ?
+
+ Non.
+
+ Vous habitez la province, je crois ?...
+
+ Pardon, Madame...
+ Est-ce que vous tenez beaucoup à causer ?
+
+ Mais non, Monsieur...
+ Je ne le fais que pour vous...
+ Je cherche a vous distraire...
+
+ En ce cas, Madame, je vous demanderai de suspendre votre conversation...
+ Je tombe de fatigue... et je ne serais pas fâché de dormir un peu...
+
+ Volontiers, monsieur.
+
+ Vous-même, ne vous gênez pas...
+ Rentrez chez vous...
+ Couchez-vous...
+
+ Oh !
+ Monsieur !...
+
+ Oh !
+ Ne craignez rien... enfermez-vous...
+ Mettez le verrou...
+
+ Bonsoir, Madame !
+
+ Bonsoir, Monsieur !
+
+ Au fait, ce que j'ai de mieux à faire, c'est de le laisser dormir !...
+
+ Comment !...
+ Elle tient encore !...
+
+ C'est agaçant !...
+ Ce frou-frou continuel...
+
+ Voulez-vous que je vous aide ?
+
+ Ne vous dérangez pas...
+ J'ôte ma coiffure... mais il y a tant d'épingles...
+
+ Je sais bien...
+ Il y a des femmes qui ont plus d'épingles que de cheveux...
+ Je ne dis pas cela pour vous... bien entendu.
+
+ Voilà.
+
+ Je vous remercie...
+
+ Pendant que j'y suis, voulez-vous que je désagrafe votre robe ?...
+
+ Oh ! monsieur...
+
+ Je vous propose cela... vous ne voulez pas, c'est fini...
+
+ Adieu, monsieur... et bonne nuit.
+
+ Oh !
+ Bonne nuit... enfin !...
+ Mettez le verrou.
+
+ Comme il me dit cela !,..
+
+ Je vous éveillerai à sept_heures.
+
+ C'est peut-être moi qui vous éveillerai...
+
+ Lui !...
+
+ On appelle ça... aller dans le monde...
+ Pourvu qu'elle ne vienne pas encore me troubler...
+
+ Mettons nous-même le verrou...
+
+ Bon... bien !...
+ Il n'y en a pas de ce côté...
+ Avec tout cela, je n'ai pas vu mon fonctionnaire...
+ Et dire que je serai obligé de retourner en Normandie sans avoir réussi...
+ Car voici ce qui m'amène à Paris...
+
+ c'est entre nous... je ne l'ai dit qu'à Bernardot...
+
+ Je suis en instance auprès du ministre pour obtenir l'autorisation de prendre le nom de Caudebec...
+ Isidore_Caudebec...
+ Ce n'est pas que mon vrai nom soit ridicule... loin de là...
+ À Saint-Petersbourg, il serait très bien porté...
+ C'est un nom russe... qui vient de roubles...
+
+ Il n'y a personne...
+ Je me nomme Roublardin...
+ Isidore_Roublardin !...
+ Ça sent son moscovite...
+ Moi, du reste, ça m'était égal... voilà cinquante-trois ans que j'y réponds, et je ne m'en porté pas plus mal, Dieu merci...
+ C'est à cause de mon neveu...
+ Un garçon très fort... qui veut se lancer dans les grandes_affaires... les affaires_de_finance...
+ Il hésite à se faire appeler Roublardin...
+ Je ne sais pas pourquoi...
+ Je lui ai écrit : « Renonce à ton mariage, et je renoncerai à mon nom... »
+ Car il voulait se marier...
+ Mais je lui ai défendu de m'en parler...
+ Une Parisienne dans ma famille ?...
+ Jamais !...
+ Ce n'est qu'en province qu'on peut espérer trouver une femme fidèle... et encore... depuis les chemins de fer...
+ Il y a tant d'embranchements !...
+
+ Tiens !
+ Qu'est-ce que je sens là... une crampe ?...
+
+ Si j'allais être malade chez cette dame... obligé d'envoyer chercher un médecin...
+ C'est alors qu'elle serait compromise...
+ Ça ne va pas bien du tout...
+ Ah !
+ Je sais ce que, c'est... j'ai faim !...
+ Pendant que les autres papillonnaient autour du buffet, moi je dormais, voilà... Il me faudrait une forte application de pâté_de_foie_gras...
+
+ Allons voir si je ne pourrais pas nouer connaissance avec quelque fragment de dinde_truffée... ou faire la cour à quelque aimable galantine...
+
+ Où va-t-il donc ?...
+ Décidément, il y a dans tout ceci quelque chose d'extraordinaire...
+ Ce monsieur qui feignait tout à l'heure un sommeil profond, qui insistait pour me renvoyer dans ma chambre... et qui, maintenant, se promène dans mon appartement... cette indifférence qu'il affectait en ôtant ma couronne, en me proposant de désagrafer ma robe, en parlant de ses cinquante-trois_ans... tout cela n'est pas naturel...
+ Serais-je tombée dans un piège ?
+ Ce Monsieur_de_Mérinville... si c'était lui !
+ Je ne le connais pas... je l'ai à peine aperçu une fois à sa fenêtre...
+ Il m'a paru plus jeune... mais qui me dit qu'il ne s'est pas déguisé pour se faire présenter chez moi ?...
+ On ne s'endort pas dans un boudoir une nuit de bal...
+
+ Le voilà !
+
+ J'ai trouvé un perdreau qui ne demande qu'à causer.
+
+ Il va souper.
+
+ Je ne suis pas fâché de prendre un peu de forces.
+
+ Hein ?
+
+ Allons, bon !...
+ J'ai dérangé ma perruque.
+
+ Sa perruque !...
+ Je m'en doutais.
+
+ Heureusement que la jeune veuve ne s'est aperçue de rien...
+ Elle repose tranquillement.
+
+ Que faire ?...
+ Du sang-froid...
+
+ Vous, madame ? Vous ici ?... Je vous croyais endormie.
+
+ Mais vous-même, Monsieur ?
+
+ Il est vrai qu'à cette heure-ci...
+ Mais la faim... l'occasion... le perdreau...
+ Je vais chercher un autre couvert...
+
+ C'est inutile... je n'ai pas faim.
+
+ Ce perdreau ne vous dit rien ?...
+ Moi, j'avoue qu'en le regardant, je me sens un appétit féroce.
+
+ Un appétit de jeune homme.
+
+ Vous avez dit le mot... de jeune homme.
+
+ Eh bien, monsieur, mettez-vous à table.
+
+ Avec plaisir.
+
+ Mais avant, donnez-vous donc la peine...
+
+ Je vous remercie... je vous verserai à boire.
+
+ Très bien...
+
+ Convenez qu'il est fâcheux que je n'aie pas vingt-cinq_ans de moins ?
+
+ Pourquoi donc, Monsieur ?
+
+ Parce que... un perdreau... du Champagne... un tête-à-tête avec une femme charmante...
+
+ Nous y voilà !
+
+ Supposez un moment que je n'ai pas cinquante-trois_ans.
+
+ Vous avouez ?
+
+ Je n'avoue pas, je suppose... je ne fais que supposer, malheureusement...
+
+ Oh !
+ Je le forcerai bien à se trahir.
+
+ Nous voilà donc tous deux à cinq_heures_du_matin... vous, me versant à boire... sans défiance...
+
+ Oh !
+ Sans défiance !...
+
+ Savez-vous, Monsieur, ce qui rend les femmes fortes ?
+
+ On dit que c'est le gymnase_Triat...
+
+ C'est leur apparence de faiblesse... on ne se méfie pas... on avance témérairement... et souvent on se laisse prendre...
+
+ Je ne comprends pas.
+
+ Voulez-vous un exemple ?
+
+ Racontez...
+ Je vous écoute en mangeant... ou plutôt non...
+ Je mange en vous écoutant...
+
+ C'est une histoire arrivée à une de mes amies.
+
+ Madame_de_Maintenon a dit qu'une histoire remplaçait un plat...
+ La vôtre me servira d'entremets sucré.
+
+ Mon amie était jeune.
+
+ Comme vous.
+
+ Veuve...
+
+ Comme vous.
+
+ Et, comme moi, sur le point de se remarier.
+
+ Les femmes ne deviennent veuves que pour cela.
+
+ Un soir, elle était seule à la campagne... lorsqu'elle reçut la visite d'un monsieur... à la tournure respectable... de cinquante-deux à cinquante-trois_ans...
+
+ Comme moi.
+
+ Comme vous...
+ Il se donnait pour un notaire... et, en effet, il lui parla de l'état de sa fortune, du placement de ses fonds... de propriétés...
+ Que sais-je ?...
+ Bref, l'heure avançait... la nuit était venue... et mon amie ne put mieux faire que d'offrir à dîner à ce monsieur...
+ Les voilà donc à table...
+
+ Avec un notaire... elle a dû bien s'ennuyer !
+
+ Mon amie était trop inquiète pour s'ennuyer.
+
+ Inquiète !
+ Pourquoi ?
+
+ Parce que... à certains signes... à la légèreté de la démarche... à la vivacité des yeux, elle s'était aperçue que ce prétendu notaire était un jeune homme déguisé.
+
+ Bravo !...
+ Je devine le dénouement !...
+ Le vieillard ôta sa perruque et se jeta aux genoux de la dame.
+
+ Non !
+
+ Ah !
+ Quoi donc ?
+
+ Il n'en eut pas le temps...
+
+ Car, dans le vin qu'il avait bu, la dame avait versé du poison.
+
+ Empoisonné !...
+
+ C'est lui !...
+
+ Non, Monsieur, rassurez-vous ; mais...
+
+ Croyez-vous que votre conduite soit celle, d'un galant homme ?
+
+ Mais, madame...
+ J'ai vu ce perdreau... sur le buffet...
+
+ Je vous ai refusé ma main...
+ Est-ce ma faute si j'en aime un autre ?...
+ Est-ce une raison surtout pour me perdre aux yeux du monde ?
+
+ Moi ?...
+ Mais je vous jure...
+
+ Ce déguisement est inutile...
+ Vous ne vous appelez pas Monsieur_Caudebec.
+
+ Comment !
+ Elle sait ?...
+
+ Il est vrai, Madame... que ce nom...
+
+ Ôtez cette perruque.
+
+ Hein ?
+
+ Ne me parlez plus de vos cinquante-trois_ans, Monsieur_de_Mérinville.
+
+ Qui ça, Mérinville ?...
+ Moi ?
+
+ Mais sans doute.
+
+ Il y a erreur, Madame... il y a erreur...
+ J'ai bien cinquante-trois_ans...
+ Malheureusement... j'ai la patte d'oie...
+ Malheureusement... et je porte perruque depuis dix ans... malheureusement.
+
+ Mais alors... je me suis trompée.
+
+ Probablement.
+
+ Remettez-vous donc à table, je vous en prie.
+
+ Merci... je n'ai plus faim.
+
+ Ne craignez rien, je ne suis pas une Lucrèce_Borgia.
+
+ Je n'ai plus soif...
+ Votre histoire de tout à l'heure...
+
+ Oh !
+ Pure fantaisie.
+
+ N'importe !
+ Arrivant par-dessus le perdreau...
+ On m'a troublé...
+ Je ne me sens pas à mon aise.
+
+ Ah !
+ Mon Dieu !
+ Vous vous trouvez mal ?
+
+ De l'éther !...
+ De la fleur_d_oranger !
+
+ Mon flacon de sel !...
+ Attendez... je reviens...
+
+ J'en ferai une maladie... bien sûr.
+ Et on appelle ça aller dans le monde !...
+
+ Je crois que le grand air me fera du bien ; on ne respire pas ici...
+
+ Le jour ne parait pas encore !...
+
+ Monsieur !...
+
+ Oh !...
+ Le monsieur d'en face !
+
+ Il n'est pas encore couché !
+
+ Vous me rendrez raison de votre conduite !
+
+ Allons, bon !
+ Il me provoque.
+
+ Vous avez beau vous cacher.
+ Je vous connais, monsieur_Roublardin.
+
+ Mon nom !...
+ Il sait mon nom !
+
+ Je serai chez vous à dix_heures_du_matin, rue_de_Tivoli, 24.
+
+ Mon adresse !...
+
+ Mais, monsieur...
+
+ Bonsoir !
+
+ Permettez...
+
+ Me voilà !...
+ Que vois-je ?...
+ Cette fenêtre ouverte...
+
+ Excusez-moi, je manquais d'oxygène...
+
+ Et Monsieur_de_Mérinville vous a vu ?...
+
+ Il m'a même défié.
+
+ Un duel !
+
+ C'est singulier...
+ Ce monsieur me connaît.,.
+
+ Vous ?...
+
+ Il sait mon adresse, 24, rue_de_Tivoli...
+
+ Comment ?...
+ Vous demeurez...
+
+ 24, rue_de_Tivoli, chez mon neveu, Gaston_Roublardin, de Caudebec...
+
+ L'oncle de Gaston !...
+
+ Où m'a-t-il vu ?...
+ Où m'a-t-il connu ?...
+ Voilà vingt-trois_ans que je ne suis venu à Paris.
+
+ Il l'a pris pour son neveu...
+
+ C'est bien simple... ce monsieur était sans doute ce soir ici, dans la foule...
+ Il vous aura entendu nommer... et il vous a provoqué...
+
+ Oh !
+ Ne craignez rien, je me connais ; je ne me battrai pas ; je ferai des excuses...
+
+ Des excuses !...
+ Mais demain, monsieur, je n'en serai pas moins la fable de tout Paris... mon mariage sera rompu...
+ Et c'est vous...
+
+ Vous aviez bien besoin d'ouvrir cette fenêtre...
+
+ Ce n'est pas ma faute... c'est l'oxygène ; je manquais d'oxygène... et d'azote.
+
+ Que voulez-vous que je devienne !...
+
+ Elle pleure...
+
+ Quand l'avenir se présentait à moi souriant et beau...
+ Ah !
+ Je suis perdue, je n'ai plus qu'à mourir...
+
+ Permettez, Madame.
+
+ Oh ! Je sais bien ce que vous allez faire.
+ Vous allez me proposer de m'épouser...
+
+ Moi ?..
+ Oh !
+ Jamais, Madame...
+ J'ai fait veuf de rester voeu.
+
+ Non...
+ J'ai fait voeu de rester veuf...
+
+ Cependant, Monsieur, si je l'exigeais ?...
+
+ C'est impossible, Madame...
+ Je vous rendrais malheureuse.
+ J'ai des moments où je suis insupportable.
+
+ Mais alors vous avez un fils ?
+
+ Le ciel m'a refusé cette douceur... jusqu'ici ; et comme je suis veuf, je ne pense pas.
+
+ Vous avez peut-être un frère... un neveu ?...
+
+ Un neveu...
+ Oui, j'ai un neveu.
+
+ C'est à lui de réparer le tort que vous avez fait à mon honneur...
+
+ Au fait, il veut se marier...
+
+ Ah !
+ Vraiment ?...
+
+ Et moi je m'y oppose...
+ Le vrai moyen qu'il n'épouse pas sa Parisienne, c'est de l'obliger à vous épouser...
+ C'est une bonne plaisanterie à lui faire...
+
+ Une plaisanterie...
+
+ Non, non... je veux dire... une bonne farce...
+ Il vous épousera.
+
+ Il y vient...
+
+ Mais s'il refuse ?...
+
+ S'il refuse... je le déshérite.
+ D'ailleurs, pourquoi refuserait il ?...
+ Il est très bien... un cavalier fort élégant...
+ Vous, de votre côté, vous êtes jeune...
+
+ Vingt_ans...
+
+ Vous n'êtes pas mal...
+ Riche...
+ Car vous devez être riche ?...
+
+ Quarante_mille_livres de rente...
+
+ Quarante_mille !...
+ Charmante... car vous êtes charmante !...
+
+ Quarante mille livres !...
+
+ Mais voyons donc ; au fait, je ne vois pas pourquoi, puisque c'est moi qui vous ai compromise...
+
+ Quarante mille !...
+
+ J'irais forcer ce pauvre garçon à vous épouser...
+
+ Hein ?...
+
+ Quand je suis là...
+ Car je suis là...
+
+ Vous !...
+
+ Mais, Monsieur, permettez...
+
+ Pas un mot de plus !...
+ Je vous épouse...
+
+ Quarante_mille...
+
+ Hein ?...
+
+ Quarante-mille fois... plutôt qu'une...
+
+ Mais je refuse...
+ Votre neveu, passe encore...
+
+ Mon neveu... mon neveu.
+ Je vous ai trompée... il est laid, il est affreux !...
+
+ Mais ça n'est pas vrai...
+
+ Il a trois ans de plus que moi...
+
+ Oh !...
+
+ Eh bien... voyons... est-ce convenu ?...
+ Acceptez-vous ?...
+
+ Jamais.
+
+ Alors, Madame, vous allez me mettre dans la nécessité de vous y contraindre.
+
+ Comment ?...
+
+ En achevant de vous compromettre...
+
+ Mais vous avez dit que vous me rendriez malheureuse...
+
+ Ce ne pourrait être qu'à force d'amour...
+
+ Car je vous aime...je vous adore !...
+ Et si vous me refusez, j'ouvre les portes, les fenêtres, j'appelle, je carillonne, je me bats en duel !...
+
+ Mais c'est affreux !...
+
+ Quand la passion m'emporte, je suis capable de tout... même d'ouvrir une fenêtre...
+
+ N'ouvrez pas !...
+
+ Vous consentez ?...
+
+ Je consens...
+
+ Merci... merci !...
+ Ah !
+ Un détail qui vous fera plaisir...
+ Je vous ai dit que j'avais cinquante_trois_ans... je n'en ai que cinquante-deux_et_huit_mois.
+
+ Qu'importe !...
+ Seulement, Monsieur, au point où nous en sommes, permettez-moi de vous charger d'une mission délicate...
+
+ Tout ce que vous voudrez Madame...
+
+ Tout... tout !...
+
+ Vous trouverez là, dans ce coffret, des lettres et un portrait... que j'avais cru pouvoir accepter...
+ Veuillez vous charger, Monsieur, de les remettre à la personne de qui je les ai reçus...
+
+ Permettez...
+ Mais...
+
+ Puisque vous allez être mon mari...
+
+ C'est juste...
+
+ Oh !
+ Ne lisez pas, Monsieur.
+
+ Puisque vous allez être ma femme.
+
+ C'est juste.
+
+ Oh ! oh !
+ C'est vif...
+ C'est très vif...
+
+ Dame !
+ Un fiancé !...
+
+ C'est singulier ; je connais cette écriture.,. Et son nom... son adresse ?...
+
+ Vous les trouverez dans l'écrin.
+
+ Son portrait !...
+
+ Gaston, mon neveu !..
+
+ Oui, mon oncle, votre neveu... qui, je le crains bien, se laissera déshériter plutôt que de vous abandonner ses droits sur mon coeur.
+
+ Permettez...
+
+ Quarante-mille_livres !..
+
+ Votre honneur l'exige... je vous ai compromise...
+
+ Oh !
+ Un oncle de cinquante-trois ans !...
+
+ Cinquante-deux.
+
+ Et huit_mois.
+
+ N'importe !
+ Il y a des hommes de cinquante_deux_ans_et_huit_mois.
+
+ En quoi d'ailleurs m'avez-vous compromise ?...
+ N'est-il pas tout naturel qu'un oncle qui arrive à Paris descende chez sa nièce ?...
+ Mon oncle...
+
+ Votre chambre est là...
+
+ Ah !
+ Vous avez une chambre ?
+
+ Qui vous attend...
+
+ Et vous ne me le dites pas !
+ Et vous me laissez dans ce fauteuil !...
+
+ Je ne savais pas que vous étiez mon oncle...
+ Demain, j'envoie chercher votre malle... et je vous installe chez moi.
+
+ Au fait, le monde n'aura rien à dire.
+
+ Et le voisin non plus.
+
+ Le voisin non plus ?...
+ Tiens...
+ Une idée !...
+ Venez, ma nièce, venez...
+
+ Qu'allez-vous faire ?
+
+ Vous allez voir...
+
+ Monsieur !...
+ Pardon...
+ Je vous dérange ?
+
+ Quoi ?...
+ Que voulez-vous ?
+
+ J'ai l'honneur de vous faire part du mariage de Madame_Henriette_Dumonteil, que j'embrasse... sur le front...
+
+ Avec Monsieur_Gaston_Roublardin_de_Caudêbec, mon neveu.
+
+ Ah !
+
+ Et de vous prier de ne pas assister à la bénédiction nuptiale qui leur sera prochainement donnée...
+
+ Ah !
+
+ Ni au dîner, qui aura lieu chez Véfour.
+
+ C'est bon...
+
+ Il est furieux.
+
+ Voilà noire invitation faite...
+ Et maintenant, ma nièce...
+
+ Maintenant, mon oncle, tenez... votre chambre est là.
+
+ Bonsoir, mon Oncle...
+ Je vous ferai réveiller demain à midi.
+
+ Midi ?...
+ J'aimerais mieux deux heures.
+
+ Deux_heures... soit... Bonsoir.
+
+ Bonsoir...
+
+ À demain !
+
+ Deux_heures !...
+
+ Je fais une réflexion...
+
+ Non, je vais me coucher...
+
+ Eh bien, si...
+
+ Qu'est-ce qu'il y a ?
+
+ Portez armes !
+ Présentez armes !...
+ La consigne.
+
+ Le mot de ralliement.
+
+ Portez armes !
+ Armes bras !...
+ En avant, _arche !
+
+ Eh !
+ Camarade !...
+ Eh !
+ Dites donc, Monsieur_Baluchon !...
+ Vous emportez la capote !...
+ La capote revient au factionnaire...
+ Ôtez-vous de là, que je m'y mette.
+
+ En avant, _arche !
+
+ Il est charmant, le père_Baluchon !...
+ Il croit que je vais me livrer, sans capote, à la faction de minuit a deux heures !...
+ La faction la plus grelottante et la plus morfondante... du moins à Sainte-Menehould, ma patrie... ville célèbre par sa charcuterie, et qui renferme une population de... dix_mille pieds... ou, si vous voulez, cinq_mille âmes... en admettant deux pieds pour une âme, ce qui est le compte ordinaire... car je laisse de côté les jambes_de_bois...
+ Et dire que c'est moi qui, en ma qualité de chirurgien pédicure, soigne tous les pieds de Sainte-Menehould... à raison de deux_francs par tête... ou cinquante centimes par cor... au choix des consommateurs...
+
+ Pédicure !..
+ C'est pourtant à cette spécialité_chirurgicale que je dois la connaissance de Blanche, ma fiancée, et de Monsieur_Batignol, mon futur beau-père... à qui j'ai eu le bonheur d'arracher un oeil... de perdrix !..
+ Et qui m'a offert la main de sa fille en récompense de celle extirpation...
+
+ Ô Blanche !
+ Tu es là, derrière ces rideaux... ponceaux... tu rêves de Blaireau...
+
+ Blaireau, c'est ceci...
+
+ Quelle bonne idée j'ai eue ce matin de me faufiler dans les rangs de la garde nationale, dont je ne suis pas encore susceptible, vue prise de ma minorité !...
+ J'ai emprunté le billet de garde d'un ami, qui me l'a cédé avec reconnaissance... car j'avais mes raisons pour factionner sous la fenêtre de ta chambre, ô Blanche, pour passer une nuit, également blanche, à veiller sur toi...
+ Oh !
+ Si elle pouvait m'entendre !...
+ Justement, son père est sourd comme une lanterne...
+
+ Blanche !....
+ Blanchette !...
+ Rien...
+ Elle dort...
+ Ah ! Que n'ai je un luth ou un sistre !...
+ Je lui chanterais un lai... un petit lai... à_l_instar_de nos vieux trouvères... mais je n'ai pour tout instrument qu'une clarinette de cinq pieds...
+
+ dont j'ignore le doigté...
+ Il faut donc lui chanter sans accompagnement....
+
+ Que ne peux-tu m'ouïr, ô toi... qui reposes sous celui de cette maison !...
+ Tu ne penserais plus à cet intrigant de commis-voyageur en soierie...
+
+ Le sieur_Rodillard... ce jeune Antony du commerce, qui essaya l'an dernier de l'enlever à mon nez et à la barbe de son père...
+
+ Je ne sais pourquoi, mais j'ai des inquiétudes au sujet de ce colporteur de gros de Naples...
+ Hier au soir, j'ai cru le reconnaître au café, entre un grand journal et un petit verre, derrière lequel il se cachait...
+
+ derrière le journal !...
+ Il serait donc de retour à Sainte-Menehould ?...
+
+ Bah.. pure vision...
+ Et puis, d'ailleurs, pourquoi le crains-je ?
+ Ne le vaux-je pas ?
+
+ Les regards de la beauté me l'ont dit assez souvent...
+ Quand ce ne serait que la femme du gros charcutier qui loge en face, au numéro 15... la cousine à Rodillard...
+
+ Une brune très pittoresque, d'une vingt-cinquaine_d_années... qui m'a fait venir une fois chez elle, sous le prétexte invraisemblable de visiter ses jolis petits pieds d'amour... et, sans son gros charcutier de mari, par_la_sambleu !...
+
+ Hein ?
+ Quel est ce monsieur, qui se promène entre minuit et deux heures ?...
+
+ Au large !...
+
+ Au large, fichtre !...
+
+ Ah !
+ Mon Dieu !
+ Mais c'est la tournure de Rodillard !..
+ Et ce geste qu'il a fait comme pour dire : « C'est mon imbécile de Blaireau qui est en faction !... »
+
+ Monsieur !
+ Monsieur !...
+ Eh bien ?...
+ Où est-il donc passé ?...
+ Monsieur !...
+ Ah !
+ Ah !
+ Il s'est sauvé...
+ Il venait roucouler sous les persiennes de Blanche...
+ Il m'a reconnu, et il a eu peur...
+ Brocanteur de pont de soie, va !...
+
+ Brrrr !...
+ J'aurais bien besoin d'une chaufferette...
+ Ah !
+ Que j'aimerais mieux être devant un bon feu, assis à côté d'une jeune et jolie Sainte-Menehouldienne !...
+ Car c'est une chose unique, je ne sais pas si c'est parce que je suis en faction, il me vient une masse de pensées d'amour.
+
+ Je me figure qu'une belle mystérieuse va venir en_catimini me frapper sur l'épaule... ette... et me dire :
+
+ « Jeune Blaireau, toi avoir charmé moi... »
+
+ « Moi désire bien fort... »
+
+ Ah !...
+ Au large !...
+ Au 1...
+
+ Tiens!
+ Tiens !
+ Tiens !...
+ C'est une femme !...
+ Serait-ce l'espagnole demandée ?
+
+ Donnez-vous donc la peine de...
+
+ Un billet !...
+
+ Un billet... d'où ?
+
+ C'est la brune !
+ C'est la charcut...
+ Qu'est-ce que ça veut dire ?...
+
+ « Mon mari est absent jusqu'à demain... »
+ Mystère et silence !... Venez vite!.. »
+
+ Un rendez-vous à moi, à moi !..
+ Une charcutière d'un si beau port !
+ Qui vient me trouver la nuit, en douillette !..
+ J'y vole !...
+
+ Ah !
+ Fichtre !
+ Et ma faction ?...
+ Comment faire ?...
+
+ Bah !
+ Tout le poste dort...
+ On ne viendra me relever que dans une heure...
+ Mais s'il passe du monde ?...
+
+ Oh !
+ Une idée !...
+ Une ressource quinolante !..
+ Je vas confectionner une sentinelle !
+
+ En faction, toi !...
+
+ La belle nuit, la belle fête !
+
+ Ah !
+ Quel plaisir d'être soldat !...
+
+ Aux armes !
+ Citoyens !...
+ Formez vos bataillons !...
+ En lui disant, adieu !
+ À la grâce de Dieu !...
+
+ Tiens !...
+ Ça me ressemble...
+ Maintenant...
+ En avant, marchons !
+ Contre les...
+
+ Ah !...
+ Et le mot de ralliement ?...
+
+ Amis, amis, secondez ma vaillance !...
+
+ Ah !
+ Madame...
+ Laissez-moi me jeter à vos pieds...
+
+ Non, j'y suis habitué...
+ Laissez-moi vous dire...
+
+ Ne m'interrompez pas...
+ Laissez-moi vous dire que je vous aime....
+ Ne m'interrompez pas... que je vous aime comme un aliéné !...
+ Comme un...
+ Ne m'interrompez pas...
+
+ Qu'est-ce que c'est que ça?.. Chut!.. écoutez...
+
+ La patrouille !...
+ Je suis frit !...
+
+ Eh bien !
+ Mais il s'arrête !...
+ Il apprête arme !...
+ Il attend le qui-vive !...
+ Il l'attendra quelque temps, le malheureux !...
+
+ Tousse, tousse, va...
+
+ Oh !...
+
+ Qui vive ?...
+
+ Trouille !...
+
+ Chef_de_trouille, avancez au mot de ralliement !
+
+ Enlevé !...
+
+ C'est à recommencer, comme s'il n'y avait rien de fait.
+
+ Ah !
+ Madame...
+
+ Hein ?...
+
+ Quoi donc ?...
+ Quoi donc ?...
+ Quoi donc ?...
+
+ Qui va là ?...
+ Sac à papier !
+ C'est le mari !...
+
+ C'est le charcutier !...
+ Je suis farci !...
+ Enjambons... vite, enjambons le balcon...
+ Impossible !...
+
+ Autre genre de faction !...
+ Qu'est-ce qui va se passer dans cet intérieur ?...
+
+ Ciel !
+ C'est mon sabre, que j'ai déposé en entrant !...
+
+ Elle proteste !
+ Elle proteste !
+
+ Il va la poignarder !...
+ Il va lui percer le flanc !
+
+ Voilà qu'elle sanglote, pour l'entortiller !...
+
+ Le charcutier caponne !
+
+ L'affaire est arrangée...
+ Mais, comment vais-je sortir d'ici, à présent ?...
+ Je ne puis pas passer à travers ce ménage...
+
+ Sauter ?...
+ Le pavé n'est pas rembourré...
+ Si au moins il passait... un passant... en lui sautant adroitement sur les épaules...
+ Ça lui ferait beaucoup de mal...
+ Ça le tuerait, probablement... mais ça m'obligerait, et...
+ Hein ?..
+ Qu'est-ce que je vois ?
+
+ C'est ma future !...
+ Ô jalousie !...
+ Elle lève la sienne !...
+ Elle fait signe à quelqu'un !...
+
+ C'est mon Rodillard !
+
+ Eh !
+ Monsieur !...
+ Monsieur_Rodillard !...
+ Je vous vois, je suis là...
+
+ Je vous dis que je suis las de vos assiduités le long de cette maison... et je vous somme de passer au large !
+
+ Que vois-je !...
+ Blanche !...
+ Ma future !...
+ Qui sort à pareille heure !...
+
+ La bienséance a des barrières, et vous passez la barrière, Blanche !
+
+ Qu'est-ce qu'elle fait donc ?..
+ Elle empale un papier sur ma baïonnette !
+
+ Eh bien !
+ Mais, ils s'en vont, bras dessus, bras dessous !...
+ C'est un enlèvement !
+ C'est un rapt !...
+ Au voleur !...
+ À la garde !...
+ Aux armes !...
+
+ Oh ! le mari !...
+
+ Je suis tombé dessus !..
+ En plein !..
+ À la hauteur de la giberne !...
+
+ Je l'avais bien dit, que le pavé n'était pas rembourré...
+ Ah !
+ Et cette lettre !
+ Que veut dire ce poulet qu'elle a embroché ?...
+ Voyons...
+
+ « Monsieur, je vous déteste... »
+ À qui écrit-elle ?...
+ « Vous êtes laid et bête... »
+ C'est à moi qu'elle écrit !...
+ « La cousine de Monsieur_Rodillard vous a attiré dans un piège... »
+ Ah !
+ C'était un piège !...
+ « Où votre sot amour-propre est tombé... »
+
+ Ce n'est pas mon amour-propre qui est tombé !...
+
+ Affreux saucissonnier !...
+ Tu me le paieras...
+ Je te réserve un pied de... ta façon !...
+
+ « Votre rival me conduit chez sa tante, où nous attendrons le consentement de mon père pour vieille marmotte !..
+
+ Eh !
+ Monsieur_Batignol !...
+ On nous enlève notre fiancée !...
+ Vite !...
+ Dépêchons, courons après eux...
+ Il ronfle, le vieux !...
+ Attends...
+ Attends...
+
+ Ah !
+ Il m'a entendu.
+
+ Bon !...
+
+ Gare l'eau!...
+ C'est une manière de parler...
+
+ Corbleu !
+ Ventrebleu !
+ Sacrebleu !
+ Morbleu !
+ Jarnibleu !
+ Têtebleu !..
+ Nom d'un petit bonhomme !...
+ Comment !
+ On m'attire dans des pièges, on m'enlève ma fiancée, on me fiche par la fenêtre, et on appelle ça une faction !...
+ Et personne n'est venu à mon secours !...
+
+ Mais, vous, Monsieur, qui me regardez là, planté comme un imbécile !...
+
+ Bon !...
+
+ On vient me relever...
+ Vite, relevons le factionnaire...
+
+ Mon chapeau...
+ Ma giberne...
+ Mon sabre...
+
+ Ah !
+ Je sais où il est.
+
+ Portez armes !...
+ Présentez armes !..
+ La consigne.
+
+ Ah !
+ Je vais vous la donner, la consigne... et avec quelques détails...
+ « Faire passer au large toutes les charcutières et autres commis-voyageurs...
+ Ne pas laisser enlever les jeunes filles de la maison ci-contre, et, surtout, ne souffrir sous aucun prétexte qu'on fiche le factionnaire par la fenêtre. »
+ Voilà la consigne, la voilà !...
+ Je remarque votre étonnement, mais ça ne m'étonne pas...
+ Et maintenant, permettez...
+ Je vais courir après les ravisseurs.
+
+ Ah !
+
+ Quoi donc...
+ Le rapport ?...
+
+ « Le sieur_Blaireau est condamné à six heures de violon, a pour avoir déserté sa faction. »
+ Ah bien !..
+
+ «Il est condamné encore à six autres heures, pour avoir fait une faction à laquelle il n'avait aucun droit »
+ Ah !
+ Très bien !...
+ Comment !
+ On me condamne pour l'avoir montée, et on me condamne pour l'avoir quittée !...
+ Mais c'est injuste... car, enfin, si j'ai eu tort de la monter, j'ai eu raison de la quitter... et au contraire, si j'ai eu raison de la quitter, je n'avais donc pas tort de la monter...
+ Non, je veux dire, si j'ai eu tort de la monter...
+ Ah !
+ Ma foi !
+ Allez au diable !
+ Dès demain, je quitte Sainte-Menehould, et si jamais j'y remets les pieds, je veux bien être traité de...
+
+ _Arche !
+
+ Je vous sais gré de m'avoir coupé le mot.
+
+ Qui avons-nous encore ?...
+
+ Monsieur le maire !...
+
+ C'est juste !
+
+ Mais où le placerons-nous à table, Monsieur_le_Maire ?...
+
+ À côté de vous !
+ Il faut toujours bien se mettre avec un maire...
+ On ne sait pas ce qui doit arriver... on peut se marier !...
+
+ Taisez-vous donc, Lucette.
+
+ Et pourquoi donc, Madame ?
+ Voilà trois ans que vous êtes veuve, juste deux ans de plus que la loi ne vous accorde pour pleurer un mari.
+
+ Lucette... je vous prie de ne pas vous occuper du plus ou moins de regrets que m'a laissés mon veuvage !...
+
+ Pardon... Madame.
+ Mais comme il y a huit jours, quand vous étiez encore à Paris, vous êtes allée au bal...
+ Je supposais...
+
+ Assez de suppositions...
+ Tenez...
+ Voici les noms des invités...
+ Vous les placerez dans l'ordre convenu...
+
+ Oui...
+ Madame.
+ Mais j'en reviens toujours à Monsieur_le_Maire.
+ Il n'a rien été décidé pour lui... et quand cela ne serait qu'à cause de moi...
+ Placez-le près de vous, madame...
+
+ À cause de vous !...
+
+ Dame !...
+ Je suis à marier, moi, en premières noces.. et François...
+
+ Je vous ai défendu de songer à François !
+
+ Oh !
+ Madame !...
+
+ Et puis voulez-vous que je vous dise, je n'ai pas confiance en vous, Madame...
+
+ Comment !
+
+ Voyez-vous, selon mes petites idées, il en est du mariage comme de la cuisine !
+
+ Je ne comprends pas !...
+
+ Pour être bonne cuisinière, il faut aimer la cuisine qu'on fait pour les autres comme si on la faisait pour soi, de même pour le mariage...
+ On ne trouve de bons maris pour autrui, qu'autant qu'on a le goût de la chose pour son propre compte...
+
+ Soit...
+ Épousez François... puisque vous le voulez... mais... je vous préviens que je ne donne pas de dot !...
+
+ Mais Madame !...
+
+ J'ai dit pas de dot...
+
+ Et moi, j'en donne une !
+
+ Nathaniel !...
+
+ Chère Amélie !...
+
+ Je ne vous attendais plus !...
+
+ Pourquoi donc !
+
+ Mais depuis six jours que je suis ici... quand vous deviez arriver le lendemain !
+
+ Des affaires !
+ Des histoires, je vous raconterai cela plus tard...
+ Mais vous deviez bien penser... qu'aujourd'hui... la veille de votre fête... j'arriverais mort ou vif, et me voilà... vif... et le premier, je l'espère !...
+
+ Sans doute !
+
+ Permettez donc, chère amie, que je vous offre...
+
+ Oh !
+ Quelle jolie broche !
+ Merci, mon ami !
+
+ Et moi, Monsieur, vous ne me donnez rien ?...
+
+ Toi...
+ Je t'ai promis une dot et en attendant !
+ Tiens !
+
+ Merci...
+ Monsieur !
+
+ Oh !
+ Et François qui est là...
+ J'oubliais...
+
+ Oh !
+ Faites donc, Monsieur, faites donc, je ne suis pas jaloux de Monsieur, moi, je sais que Monsieur nous aime de bonne et pure amitié...
+ Faites donc, Monsieur, faites donc...
+
+ Et tu as raison !
+ Mais porte mes malles dans ma chambre... toujours... la chambre verte... n'est-ce pas ?...
+
+ Sans doute !
+ Ma plus belle chambre d'amis n'est-elle pas pour vous ?
+ Allez, François, et vous, Lucette, placez les noms sur les verres !...
+
+ Oui, Madame !
+
+ Nathaniel !...
+
+ Amélie !...
+
+ Qu'avez-vous fait à Paris, depuis six jours ?
+
+ J'ai... j'ai songé à vous !...
+
+ Bien vrai !...
+
+ D'abord...
+ J'ai été chez votre couturière !
+
+ Bien !...
+
+ Chez la marchande de modes !...
+
+ Bien !
+
+ Chez votre tapissier !
+
+ Très bien !...
+ Mais j'y songe !
+ En quittant le bal de Madame_de_Cernanges, la veille de mon départ pour la campagne, j'ai entendu une espèce de discussion... dans le petit salon I
+
+ Ah !
+ Vous avez entendu !
+
+ Confusément... et il me semblait que votre nom avait été prononcé ?
+
+ Moi !;..
+ Ah !
+ Oui... oui... je me souviens, je sais ce que c'est...
+ Je vous raconterai... cela..; c'est encore une histoire...
+ Je vous la dirai plus tard !...
+
+ Ah çà !
+ Mais je remarque, mon cher Nathaniel, qu'avec votre manie de me raconter tout plus tard...
+ Vous ne me racontez rien !...
+
+ J'amasse les histoires !
+ J'entasse les anecdotes, je collectionne les bons mots, pour les douces et tranquilles soirées !...
+ Que nous avons à passer ensemble dans cette campagne...
+ Vous verrez...
+ Je suis capitonné de faits divers, émaillé de récits piquants et damasquiné de propos scandaleux...
+
+ Soit !...
+ J'attendrai !...
+
+ Ah !...
+ Étourdi que je suis !...
+
+ Quoi donc ?...
+
+ J'oubliais de vous dire !...
+
+ Encore une histoire !
+ Gardez-la-moi pour mes vieux jours !...
+
+ Méchante !...
+ Vous n'y êtes pas !
+ Je ne suis pas venu seul ici !...
+
+ Ah !...
+
+ J'ai un compagnon de voyage !
+
+ Où est-il ?...
+
+ Il est au chemin de fer... au bureau du télégraphe_électrique !...
+
+ Peut-on savoir quel est ce nouveau venu ?
+
+ Sans doute!...
+ C'est un de mes amis !
+ Un camarade de collège, un barbiste...
+ Vous le connaissez, Gaston_de_Rioux!
+
+ Gaston_de_Rioux...
+ Attendez donc !...
+ Je l'ai rencontré plusieurs fois chez Madame_de_Cernanges.
+
+ Précisément !...
+
+ Il arrive d'Italie !...
+ Il m'a raconté une partie de ses excursions !...
+
+ Et c'est pour vous continuer le récit de ses voyages qu'il a sollicité l'honneur de vous être présenté !
+ Vous voyez que si je mets de la discrétion dans mes récits, je pousse les autres à la dépense !...
+
+ Mais vous m'y faites songer....
+ Monsieur_de_Rioux est un de vos camarades de collège !...
+
+ Je sais ce que vous allez me dire : il a vingt-cinq ans !...
+ Et moi...
+ Je les ai eus... mais ça ne fait rien...
+ Il entrait à Sainte-Barbe comme j'en sortais...
+ Je crois même que j'en sortais qu'il n'y était pas encore entré... qu'importe, n'avons-nous pas eu les mêmes pensums sur les mêmes bancs ?...
+ Donc nous sommes camarades... à quelques jours... près...
+ Eh !...
+ Tenez, le voilà!...
+
+ Madame !...
+
+ Entre donc...
+ Je t'ai annoncé !...
+
+ Monsieur_de_Rioux soyez le bienvenu !
+ Mais permettez-moi de vous faire un reproche.
+
+ Un reproche !...
+
+ Oui.
+ C'est de ne pas venir exprès pour moi...
+ C'est-à-dire un jour où je suis seule, où je causerais avec vous, où vous pourriez continuer le récit de vos aventureux voyages.
+
+ Vous vous trompez, Madame, je suis venu exprès pour vous ; je savais par l'ami Nathaniel que c'était aujourd'hui votre fête, et si je ne puis vous entretenir de mes pérégrinations, j'ai songé du moins à vous en rapporter... quelques souvenirs !
+
+ Oh !...
+ La belle mosaïque !...
+
+ Elle est du dernier maître mosaïste de Florence.
+
+ Voyez donc, Nathaniel !
+ Quelles ravissantes couleurs !...
+ Quel travail !...
+
+ En effet, ces pierres chatoient admirablement.
+
+ Merci encore !
+
+ Madame, voici Monsieur_le_maire qui sonne à la grille !
+
+ Je vais le recevoir ; vous permettez... Messieurs.
+
+ Comment donc... Madame !
+
+ À bientôt !...
+
+ Quelle ravissante femme !...
+
+ Eh bien !...
+ As-tu des nouvelles ?
+
+ Non...
+ Mais j'ai fait jouer le télégraphe !...
+ Et tantôt!...
+
+ À la bonne heure !...
+
+ Ah çà !
+ Me diras-tu un peu à la suite de quel propos ce duel a eu lieu ?
+
+ Le moment n'est pas venu...
+ Tu sauras tout plus tard?...
+
+ Plus tard, plus tard, toujours ton même refrain.
+
+ Mon cher Gaston...
+ Raconter c'est vieillir...
+ Agir c'est être jeune...
+ Voilà pourquoi je ne raconte pas encore !
+
+ Très bien !
+ Dis donc, sais tu que c'est une femme délicieuse... Madame_de_Méricourt !
+
+ Parbleu...
+ Si je le sais... et je l'apprécie... mieux que toi encore !
+ Moi qui suis son ami !...
+
+ Oh !...
+ Son ami !...
+
+ Mon cher...
+ Fais attention à tes paroles !
+
+ Bon Dieu !
+ Comme tu prends feu !
+ Veux-tu donc aussi te battre avec moi !
+
+ Non...
+ Mais tu es jeune, et tu ne comprends pas l'amitié !...
+
+ J'avoue que je la comprends difficilement, entre un homme, quel qu'il soit, et une femme comme Madame_de_Méricourt!...
+
+ Eh bien !
+ Mon cher de Rioux, je suis purement et simplement l'ami de Madame_de_Méricourt, je me suis posé ainsi !...
+
+ Bah !...
+
+ À l'âge où je suis arrivé...
+ J'ai pris cet emploi, et je m'en trouve bien !...
+
+ Vraiment !...
+
+ Je vois d'ici le tableau !
+ De mon côté... pas d'inquiétudes, de jalousies ; du côté de la femme dont je suis l'ami, toujours un visage riant, des façons aimables, je me trouve avoir les bénéfices d'un ménage ou d'une grande passion... sans en avoir les inconvénients !
+
+ C'est bien imaginé !...
+
+ Je possède ainsi, dans Paris, deux ou trois maisons dont les femmes sont mes amies.
+ Ah !
+ Mon cher...
+ Si tu savais combien les relations, purement intellectuelles, avec ces êtres charmants, qu'on appelle des femmes et des Parisiennes, surtout, suffisent au bonheur d'un homme, arrivé comme moi, sur le versant nord de la montagne de l'existence : c'est tout un poème !...
+ Oh, rassure-toi !
+ Je ne te le dirai pas ; mais sache que je n'ai jamais été si tranquille, si placide, que depuis que j'ai abdiqué ma qualité d'amant, pour embrasser la profession d'ami des femmes ?...
+
+ C'est beau !
+ C'est digne des anciens temps, c'est de la chevalerie !...
+
+ Du tout !
+ C'est de l'égoïsme !
+
+ Ma foi !
+ Je t'admire !...
+
+ Hi !...
+ Hi !...
+ Hi!...
+
+ Hé bien... Lucette... tu pleures ?...
+
+ Oh !
+ Je suis bien malheureuse !...
+
+ Oh !
+ La pauvre enfant !...
+
+ Qu'as-tu ?
+ Voyons, parle !...
+
+ C'est que Madame refuse, positivement, de donner son consentement à mon mariage avec François !...
+
+ Mais... puisque je donne la dot !...
+
+ La dot n'y fait rien ; Madame dit que François !... est un lourdaud... un rustre !...
+
+ Il y a du vrai !...
+
+ Ah !...
+ Monsieur_Nathaniel !...
+
+ Voyons...
+ Voyons, console-toi... avec des yeux comme ceux là, il ne faut pas pleurer !...
+ Pauvre petite !...
+
+ Vous êtes bon, vous !...
+
+ Oui... je suis bon !...
+
+ Ah !...
+
+ Oh !...
+ Le futur!...
+
+ Oh !...
+ Pardon !...
+
+ Embrassez, Monsieur, y a pas d'offense !...
+ Embrassez, j'ai confiance.
+ Vous êtes l'ami de Lucette, allez-y ?...
+
+ Tu vois...
+ Quel charmant privilège !...
+
+ C'est vrai !...
+
+ Mademoiselle Lucette, les amis de nos amis...
+
+ Oh !
+ Mais non !...
+ Pas vous!...
+ Monsieur, oui !...
+ Vous...
+ Non!...
+ Monsieur a notre confiance !...
+ Vous ne l'avez pas !...
+
+ Attrape...
+ Mon cher !...
+
+ Ainsi, Monsieur, je puis compter sur vous pour décider Madame...
+
+ Oui, mon enfant... va !...
+
+ Merci... Monsieur...
+
+ Merci... Monsieur...
+
+ Oh !
+ Que Monsieur est donc bon !
+
+ Tu vois !...
+ Jusqu'aux femmes de chambre, aux suivantes, aux caméristes... dont je suis l'ami !...
+ En tout bien tout honneur !...
+
+ En effet !
+ Tu es bien posé dans la maison!...
+
+ Ah çà !
+ Voyons, j'ai deux heures à moi avant le dîner...
+ Mon cheval est sellé... car j'ai mon cheval, ici...
+ Il n'y a que moi qui le monte...
+ Et je vais...
+
+ Ah !
+ Je vous trouve encore !...
+ Tant mieux.
+ Je ne sais où est Lucette...
+ Je ne puis venir à bout d'attacher cette broche !...
+
+ Madame... si j'osais !...
+
+ Oh !
+ Non... pas vous !...
+ Nathaniel !
+
+ Voilà !
+ Voilà!...
+
+ Eh bien !
+ Qu'en dis-tu ?...
+
+ Merci !
+ Oh !
+
+ Quoi donc ?...
+
+ Oh !
+ Mon Dieu !...
+ Qu'est-ce que j'ai là ?...
+ Voyez donc !
+
+ Permettez !...
+
+ Non...
+ Nathaniel !...
+ Mais vite donc !...
+
+ Voilà !
+ Voilà !...
+ C'est une mouche ; ne craignez rien !...
+
+ Est-il heureux, ce Nathaniel !...
+
+ Ah !
+ Que j'ai eu peur !
+
+ Merci !
+
+ Maintenant, Monsieur_de_Rioux, je m'empare de vous !...
+
+ Mon ami, s'il arrive des invités, je vous charge de les recevoir !...
+
+ Soyez tranquille !
+
+ Monsieur de Rioux, voulez-vous m'offrir votre bras ?
+
+ Avec bonheur !...
+
+ Je veux vous faire visiter ma serre !...
+
+ Trop heureux !...
+
+ J'aurais vraiment tort de me plaindre !...
+ Suis-je assez choyé, dorloté dans cette maison...
+ Oh !
+ Il n'y a que les femmes pour comprendre les délicatesses de l'amitié !...
+ Mais, avec tout cela, je ne reçois pas de lettres !...
+ Je suis d'une inquiétude...
+ Ce duel !...
+ Ce maudit coup d'épée !...
+ Pourvu qu'il n'y ait pas de poursuites...
+ Devant les tribunaux et messieurs les juges...
+ Il faudrait tout dire...
+ Et je serais au désespoir que Madame_de_Méricourt apprît...
+
+ Ah !
+ Monsieur...
+ Je vous cherche!...
+
+ Moi ?...
+
+ Oui, Monsieur, vous...
+ L'ami de ma fiancée !...
+
+ Voyons...
+ Parle !...
+
+ On a apporté du chemin de fer votre malle, vos cartons !...
+
+ Oui...
+ Je sais...
+ Et tu les as placés dans ma chambre habituelle... au premier... la chambre verte !...
+
+ Non, non, Monsieur notre ami...
+ D'après l'ordre de Madame, on a donné votre chambre à Monsieur_Gaston !...
+ Et vous... la vôtre est au second !...
+
+ Au second.
+
+ C'est bien !...
+
+ Eh bien !
+ François...
+ On vous attend !
+
+ Qu'y a-t-il donc !
+
+ Il arrive un monde fou !
+ Le Sous-préfet, le receveur_de_l_enregistrement !
+
+ Déjà ?...
+
+ Ah !
+ Monsieur, vous savez !
+ Vous n'avez plus votre chambre habituelle !...
+
+ Oui, je sais !...
+ François m'a dit que j'étais logé au deuxième...
+
+ Oh !
+ Non, Monsieur, c'est changé!
+
+ Comment c'est changé !...
+
+ Oui...
+ Monsieur, pour loger Monsieur_le_sous-préfet, on a mis votre ami au second !...
+
+ Eh bien !...
+ Et moi?...
+
+ Vous !...
+ Vous êtes au quatrième !...
+
+ Au quatrième, à la campagne !...
+
+ N°_15.
+
+ Près de la chambre de Lucette !
+
+ Tiens !...
+ C'est vrai!...
+
+ Et non loin de la mienne !...
+
+ Avec les domestiques !...
+
+ Mais j'ai confiance !
+ Moi... vous savez...
+ Vous êtes l'ami de ma future !...
+ Vous êtes notre ami !...
+
+ C'est bien !...
+ Voyons cette chambre.
+ Suis-moi, François.
+
+ Oui, Monsieur.
+
+ Il est enchanté de demeurer près de nous, il nous aime tant !...
+
+ Mais, venez donc !...
+
+ Voilà, voilà, Monsieur...
+ Il nous aime tant.
+
+ Il prend bien la chose !...
+
+ Ah !...
+ Je suis dans un embarras mortel !...
+
+ Qu'y a-t-il donc Madame ?...
+
+ Il vient de m'arriver, comme vous le savez, un surcroît de convives !...
+
+ Oui, Madame, eh bien ?...
+
+ Eh bien !
+ J'ai compté... et tout bien calculé... nous serons treize à table ?...
+
+ Oh !
+ Madame, treize ?...
+
+ Ce n'est pas pour moi ; je suis au-dessus de ce préjugé-là !...
+ Mais il y a des gens qui s'en inquiètent !
+
+ Comment faire ?...
+
+ Je ne sais que devenir !...
+ Que décider !...
+ Ah !
+
+ Laisse-nous !
+
+ Eh bien !...
+ Je vous remercie...
+ Je viens de la voir...
+ Elle est jolie, la chambre que vous m'avez réservée !...
+
+ Pouvais-je faire autrement ?
+
+ Mais !...
+
+ Voyons, réfléchissez, Nathaniel !...
+
+ Enfin... quoi !...
+
+ Gaston_de_Rioux vient ici pour la première fois ; il est votre ami, il est amené par vous !
+ Et je ne pouvais que vous faire honneur en lui offrant ce que je vous réservais à vous-même ?
+
+ Elle a raison !...
+
+ Mais ce n'est pas ma broche... ça... celle que je vous ai attachée ce matin ?...
+
+ Non...
+ J'ai réfléchi...
+ Il serait peut-être impoli à moi de ne pas porter aujourd'hui...
+ Aujourd'hui seulement, la mosaïque que votre ami Gaston m'a offerte si gracieusement !
+
+ Cependant !...
+
+ Allons !...
+ Ah !...
+ S'il faut que je me gêne...
+ Avec mes amis...
+ Mes vrais amis !...
+
+ Et vous êtes de ce nombre Nathaniel ?...
+ Ce ne serait vraiment pas la peine d'en avoir ?
+
+ Elle est adorable !...
+
+ Mais il ne s'agit pas de tout cela !
+ Vous voyez devant vous la femme la plus embarrassée du monde.
+
+ Qu'est-ce donc !
+
+ Nous allons être treize à table ?
+
+ Oh !
+ Treize... eh bien !
+
+ Ah !
+ Mon cher...
+ Pas de phrases banales,treize est un vilain nombre, qui, à tort ou à raison, déplaît à beaucoup de gens, il faut nous en débarrasser !
+
+ Voyons donc, voyons donc.
+
+ Ah !
+ J'y suis.
+
+ Une bonne idée!
+
+ Excellente !
+ La petite fille du jardinier !
+ Elle est gentille, bien élevée, bien...
+
+ Arrêtez-vous !
+ J'y avais songé !
+ Je l'ai demandée à son père...
+ Malheureusement elle est partie d'hier... pour Pontoise...
+
+ Oh !
+ Est-ce qu'on va à Pontoise ?
+ Qu'on en revienne!...
+
+ Je crois bien qu'il y aurait un moyen !
+
+ J'en suis sûr !
+ Il n'y en a qu'un, un bon... et c'est vous qui le trouverez...
+ Les femmes ont un tact !...
+
+ Voici : s'il n'y a pas possibilité d'être quatorze, il y a toujours possibilité de n'être que douze.
+
+ Oh !
+ Ça... sans doute !
+ Qui peut plus peut moins...
+
+ La difficulté maintenant est de savoir qui ne dînera pas à table.
+
+ Cherchons donc, cherchons donc !...
+ Ah !
+ Duhamel, un petit vieux !
+
+ Monsieur_le_Maire !
+ Y pensez-vous !
+ Une autorité !
+
+ C'est juste !...
+ Ah !
+ Le fils du percepteur... dix-sept ans... un gamin... sans conséquence !...
+
+ Ah !
+ Oui...
+ C'est adroit !...
+ Et demain le percepteur, qui adore son fils, me fera augmenter mes contributions !...
+
+ Diable !...
+ Nous sommes embarrassés...
+ Ah !...
+
+ Mais que je suis bête !...
+
+ Vous avez trouvé?
+
+ Sans chercher bien loin.
+
+ Comment ?
+
+ Gaston... Gaston...
+ Le dernier venu...
+ C'est sa faute !
+
+ Oh !...
+ Nathaniel...
+ C'est mal...
+ Comment Monsieur_de_Rioux !
+ Que vous m'amenez aujourd'hui?
+
+ Mais pourtant !...
+
+ Eh !
+ Quoi !...
+ Vous auriez un mauvais procédé pour un ami, un camarade, au profit d'un indifférent ?...
+ Oh !...
+
+ Mais dame !
+ Comment faire ?
+ J'épuise la liste des invités admis à votre table pour essayer d'en distraire un... et à moins que ce ne soit moi... moi qui me dévoue !
+
+ Quoi ?
+ Vraiment ?...
+
+ Comment ?
+ Quoi vraiment ?
+
+ C'est très bien !
+ Nathaniel, je n'aurais pas osé vous le demander !
+ Je n'attendais pas moins de votre part.
+
+ Mais permettez !...
+
+ Oh !
+ Rassurez-vous !
+ Vous dînerez dans le petit pavillon !...
+
+ C'est ça, à la petite table avec les enfants !
+
+ Et au dessert...
+ Au Champagne, vous serez des nôtres !
+
+ Mais...
+ Amélie !...
+
+ Merci... ami... merci...
+
+ Mais je ne veux pas !...
+
+ C'est ça, ma bonne m'amènera! (En scène.) Ah çà! voyons donc !
+ Récapitulons !
+ On me prend ma chambre !
+ On me loge au quatrième !
+ Bien !
+ Je fais cadeau d'une broche !
+ Et c'est celle d'un autre qu'on porte !...
+ Très bien !...
+ On est treize à table, il s'agit de supprimer un dîneur, et c'est sur moi que !...
+ Oh !
+ Mais non, ça ne me va plus !
+ Ce rôle-là, non, non !
+
+ Lucette !...
+ Je ne dînerai pas, je vais aller me promener...
+ Luc...
+ Ah !
+
+ Que voulez-vous, Monsieur_Nathaniel ?
+
+ François est-il là !
+
+ Oui, Monsieur...
+
+ Je vais sortir, dis-lui de seller mon cheval.
+
+ Votre cheval ?
+ Ah bien, il y a longtemps qu'il court les bois !
+
+ Qui donc s'est permis ?...
+
+ C'est Madame qui l'a mis à la disposition de votre ami Gaston !
+
+ Encore !
+ Ah !
+ C'est trop fort !...
+
+ Mais qu'a-t-il donc aujourd'hui, Monsieur_Nathaniel, lui, d'ordinaire, si gai, si aimable !...
+
+ Impossible de continuer ma promenade !
+
+ Ah !
+ Vous arrivez bien ?
+ Monsieur_Nathaniel est furieux après vous !...
+
+ Et pourquoi, mon_Dieu ?...
+
+ Parce que vous lui avez pris son cheval !
+
+ N'est-ce que cela ?
+ Il le retrouvera à l'écurie, où je viens de le ramener !...
+
+ Je vais l'en prévenir, ça le calmera !
+
+ Cette idée me poursuit sans cesse !
+ Je suis amoureux fou de Madame_de_Méricourt... et je n'ose lui dire ce que j'éprouve... si je lui écrivais ?...
+ Oui...
+ C'est cela !...
+
+ Ah !
+ Te voilà !...
+ Et mon cheval ?...
+
+ Il est à l'écurie !...
+
+ À l'écurie ?...
+
+ Oh !
+ Nathaniel, son ami, il va me servir !
+
+ Je te prierai dorénavant !...
+
+ C'est bon, c'est bon ; allons au plus pressé !...
+
+ Je voudrais bien, auparavant !
+
+ Non...
+ Écoute-moi, d'abord !...
+
+ Allons !...
+
+ Mon cher !...
+ Je suis amoureux !
+
+ Ah !...
+
+ Et sais-tu de qui ?...
+
+ Ma foi... non...
+
+ De ton amie !...
+ De la délicieuse maîtresse de cette maison !...
+
+ Eh bien !
+ Que veux-tu que j'y fasse ?...
+
+ Ce que je veux !...
+ Je veux que tu lui parles de mon amour !...
+
+ Moi ?...
+
+ Que tu lui dépeignes ma flamme, mes tourments, je veux enfin, que tu lui fasses comprendre ceci : que j'ai vingt-cinq_ans... trente_mille_livres de rentes... et que je la demande en mariage !...
+
+ Hein ?...
+
+ Tu ne peux pas me refuser ce service-là...
+ Toi qui n'es que son ami... qui n'as pas de prétentions au delà d'une affection calme !...
+
+ Reposée !...
+
+ Mais... mais !...
+
+ Chut !...
+ La voilà... Elle vient de ce côté !...
+ Plaide ma cause, mon bon Nathaniel, je compte sur ton amitié !...
+
+ C'est singulier...
+ Ça me fait un drôle... d'effet !...
+ Amélie !...
+ Se marier !...
+ Oh !
+ Non... c'est impossible...
+ Moi...
+ Son ami...
+ Je reste garçon !...
+ Elle, mon amie, devrait en faire autant !...
+
+ C'est-à-dire !...
+
+ Par ici...
+ François...
+
+ Oh !
+ C'est elle !...
+
+ On prendra le café dans ce salon !...
+
+ Ah !
+ Tout est en ordre !
+ Et ce n'est pas sans peine !
+
+ Tiens...
+ Vous ici ?...
+
+ Oui...
+ J'étais là...
+ Je songeais !...
+
+ Est-ce indiscret de vous demander à quoi vous songiez ?...
+
+ Oui... c'est indiscret !...
+ Mais n'importe !...
+ Demandez toujours?...
+
+ Eh bien !...
+ Voyons !...
+
+ Que diriez-vous... Amélie... si une personne que je ne veux pas nommer... m'avait chargé, auprès de vous d'une mission très délicate ?
+
+ N'allez pas plus loin...
+ Je devine... la demande en mariage !...
+
+ Précisément ?...
+
+ Eh bien !...
+ Répondez à la personne que vous ne voulez pas nommer, et que je ne veux pas connaître... que je ne songe pas au mariage...
+
+ À la bonne heure !
+ Je savais bien qu'elle était dans les bonnes idées.
+
+ Pour le moment !
+ Pour le moment...
+ Plus tard, je ne dis pas !...
+
+ Comment... plus tard ?
+
+ Oh !
+ Pas comme vous l'entendez, à propos de vos histoires, sur mes vieux jours...
+ Oh !
+ Non !
+ Mais dans trois mois... six_mois... plus_ou_moins.
+
+ Il est donc vrai...
+ Elle se marierait ?
+
+ Eh bien !
+ Qu'avez-vous ?
+
+ Je n'ai rien...
+ Si... Non... eh bien !
+ Si.
+
+ Amélie !...
+
+ Oh !
+ Mon Dieu...
+ Quel ton officiel !
+
+ Que diriez-vous encore... si quelqu'un qui vous aime... et que vous aimez... demandait à être l'heureux privilégié qui dans trois mois... six mois... plus ou moins?...
+
+ Tiens !
+ Vous m'intriguez...
+ Voyons donc...
+
+ Quelqu'un qui m'aime... et que j'aime !...
+ Qui ça peut-il être ?...
+
+ Vous ne devinez pas ?
+
+ Ma foi non !
+
+ Mais il est là!...
+
+ Hein ?
+
+ Près de vous !
+
+ Quoi !
+
+ C'est moi...
+
+ Vous ?
+ Sérieusement ?
+
+ Sérieusement.
+
+ Ah ! ah! ah !
+ Non, c'est impossible !
+
+ Impossible, comment cela ?
+
+ Vous...
+ Non...
+ Ah ! ah !
+
+ Pour être votre ami, je n'en suis pas moins... homme !...
+
+ Oh non !
+ Finissez ; oh !
+ Vous me faites rire.
+ Ah ! ah ! ah !
+
+ Je la fais rire...
+
+ Qu'avez-vous donc, Madame ?
+
+ Oh !
+ C'est trop drôle !
+ Je vais te dire, ah ! ah !
+
+ Amélie !....
+
+ Imagine-toi, Lucette, que Nathaniel... que voici... est amoureux de moi...
+ Ah !
+
+ Ah ! ah ! ah !
+
+ Elle va trop loin.
+
+ Et qu'il veut m'épouser !
+
+ Vous épou... ah ! ah ! ah !
+
+ Ah ! ah ! ah !
+
+ Elle rit trop, allons...
+ Elle rit trop !
+
+ Tiens, on est gai, ici !
+
+ Oh !
+ Figurez-vous, François !
+
+ Lucette...
+ Je vous défends !
+
+ Monsieur Nathaniel qui veut épouser... Madame.
+
+ Ah !
+ Ah !
+ Le fait est qu'elle est drôle celle-là !
+ Ah !
+ Ah !
+
+ Suis-je assez humilié !
+
+ Eh bien ?
+
+ Quoi ?
+
+ Tu as parlé pour moi ?
+
+ Oui, j'ai parlé pour moi...
+ C'est-à-dire...
+
+ Et... qu'a-t-elle répondu ?
+
+ Ce qu'elle à répondu ?
+
+ Au fait...
+ Il a des chances !
+ Il est jeune, il est fort bien, même...
+ Pourquoi ne l'aimerait-elle pas ?
+
+ Eh bien !
+ J'attends !...
+
+ Gaston, tu tiens donc beaucoup à ce mariage ?
+
+ C'est mon rêve !
+
+ Eh bien !
+ Soit!
+ Je te marierai à madame de Méricourt!...
+
+ Excellent ami !...
+ Je cours la rejoindre !
+
+ Comme ça, j'aurai au moins la consolation de contempler leur bonheur !...
+
+ Oui... oui... de loin !...
+
+ Comment de loin ?...
+
+ Sans doute...
+ Crois-tu donc que je veux que ma femme ait des amis comme toi ?...
+
+ Tu dis ?...
+
+ Je dis qu'il est trop dangereux pour un mari, d'avoir des complaisants dans ton genre !...
+ Toujours attentifs, aux petits soins, ne cherchant qu'à plaire...
+ Merci !
+ Tu seras notre ami... mais... à distance !...
+
+ C'est cela...
+ Un ami rayé !...
+
+ Merci, mon bon, c'est un service que je n'oublierai jamais.
+ Oh !
+ Sois tranquille, tu resteras toujours notre ami, mais de loin... de loin !...
+
+ Seul...
+ Seul...
+ Abandonné...
+ N'ayant plus l'amie !
+ Et n'ayant pas la femme !
+ Oh !
+ Mon parti est pris !...
+
+
+ Monsieur me demande ?
+
+ Va me chercher mes malles, mon carton à chapeau... et porte-moi tout cela au chemin_de_fer...
+
+ Mais, Monsieur...
+
+ Allons...
+ Allons !
+ Fais ce que je dis !
+
+ Oui, je vais sortir d'ici... et aller...
+ Où ça ?
+ Chez une autre... qui me jouera le même tour, et ainsi de suite !
+ Oh !
+ Les amis, les femmes, les femmes ?
+
+ Voilà, Monsieur...
+
+ C'est bon... viens !...
+
+ Oh !
+ Madame me sonne !...
+
+ Tu iras plus tard...
+ Suis-moi!...
+
+ Oh !
+ Non, Monsieur...
+
+ Quand je te le dis!...
+
+ Madame me sonne...
+ Voilà !
+ Voilà !
+
+ La domesticité me lâche également.
+ Oh !
+ N'importe !
+ Je m'aimerai tout seul, et je me servirai moi-même !
+
+ C'est lourd !...
+ Mais ça n'est pas humiliant !...
+
+ Que veut dire ceci !
+ Quel est cet attirail ?...
+
+ Je m'en vais !...
+
+ Et où cela, mon ami ?...
+
+ Votre ami !
+ Votre ami ?
+ Ah !
+ Voilà le grand mot !
+ Les femmes croient avoir tout dit, croient avoir tout fait, quand elles vous ont tendu la main, en ajoutant !
+ Soyez mon ami !...
+ L'ami d'une femme ?
+ Mais c'est un esclave !
+ Un ilote !
+ Il n'a que les rebuffades et les mauvais procédés !...
+
+ Ah !...
+
+ Je sais ce que je dis !
+ Au spectacle... Il est sixième dans une loge de quatre...
+ Que voulez-vous ?
+ C'est un ami !
+ À table, on donne l'aile du poulet aux indifférents, mais à lui, on lui réserve le pilon !
+ Que voulez vous !
+ C'est un ami !...
+ Dans les parties de campagne, en voiture, est-ce à lui qu'on donne la meilleure place ?
+ Du tout !
+ On le met à côté du cocher !...
+ Une course désagréable, un ennui, une corvée on en charge...
+ Qui ?
+ Un monsieur qui passe ?...
+ Fi donc !
+ On garde tout cela pour l'ami !
+ C'est son droit...
+ C'est son devoir !
+ Il aurait tort de réclamer autre chose ?
+ Bref, l'ami d'une femme, ce n'est pas un homme...
+ C'est un commissionnaire...
+ Voyez plutôt !
+ Il ne me manque que la médaille !...
+
+ Oh !
+ Pauvre garçon...
+ Je l'ai froissé... tout à l'heure.
+
+ Nathaniel ?
+
+ Hein ?
+
+ J'ai eu des torts !...
+
+ Non, je ne dis pas cela...
+
+ Je le dis moi...
+ Je le sens maintenant, et je vois qu'en effet...
+ L'amitié est un sentiment très lourd à porter !...
+
+ Dame !...
+
+ Mais quand on est deux l'un vient au secours de l'autre !...
+
+ Quelquefois !...
+ Quelquefois ?...
+
+ Toujours !...
+ C'est son droit...
+ C'est son devoir, à celle qui n'est pas atteinte de venir en aide à celui qui souffre !...
+
+ Elle a une petite voix...
+
+ Et maintenant que je vous ai...
+ C'est-à-dire, que je me suis bien grondée moi-même... que j'ai reconnu mes torts...
+ Voulez-vous encore partir ?...
+
+ Eh bien !
+ Non !
+
+ C'est-à-dire !
+ Si... si...
+ J'ai affaire à Paris !
+
+ Ah !...
+
+ Une chose urgente...
+
+ Voici la réponse télégraphique !...
+
+ C'est bien, c'est bien !
+ Donne !...
+
+ Mais qu'est-ce donc ?...
+
+ Rien... rien...
+
+ Mais pourquoi donc te taire, maintenant que le danger est passé ?
+
+ Le danger !...
+
+ Tais-toi donc !...
+
+ Et pourquoi cela ?...
+ Un fait qui t'honore !...
+ Ma foi...
+ Oui...
+ Madame...
+ Un duel !...
+
+ Un duel ?...
+
+ Bavard ?...
+ Va !...
+
+ Un coup d'épée, qu'il a donné ?...
+
+ Mais qu'il aurait pu recevoir !
+ Ah !
+ Nathaniel et vous ne m'en avez rien dit ?...
+
+ Amélie...
+
+ Il craignait des poursuites !
+ Mais voici qui le rassure.
+
+ Lis, beau preux !
+ Car notre ami Nathaniel est un des derniers chevaliers français !
+ C'est pour une femme... qu'il se battait !...
+
+ Gaston...
+
+ Une femme !
+ Ah !...
+
+ En effet !
+ Vous aviez raison, Monsieur vous devez !
+ Il faut partir !
+
+ Tenez !
+ Tenez !...
+
+ Amélie !...
+
+ Tenez !...
+
+ Elle m'accable !...
+ Elle m'accable !...
+
+ Allez-vous-en !...
+ Allez revoir cette femme pour laquelle vous exposiez votre vie...
+ Allez !...
+
+ Mais...
+
+ Une femme que je ne connais pas !...
+
+ Je la connais...
+ Moi ?...
+
+ Toi ?...
+
+ J'étais au bal... ce soir-là, chez Madame_de_Cernanges...
+ Je tenais la pelisse de madame.
+
+ Lucette, taisez-vous !...
+
+ Lucette...
+ Parlez ?...
+
+ Madame, c'est pour vous qu'il s'est battu ?...
+
+ C'était pour elle ?...
+
+ Ah !
+ Et à quel propos ?
+
+ Oh !
+ Rien, une misère...
+ Une discussion...
+ Je vous dirai cela...
+
+ Plus tard !...
+ Quand nous serons mariés.
+
+ Qu'entends-je !
+ Je vous épouse...
+ Sans rire ?...
+
+ Oui...
+ Sérieusement !...
+ J'ai réfléchi...
+ À mon âge, on n'a pas encore d'amis, c'est trop tôt !...
+
+ Oh !
+ Amélie!...
+
+ Tout le monde est arrivé...
+ Monsieur le maire s'impatiente ?..
+
+ Qu'il ne s'en aille pas ! nous aurons besoin de lui ?...
+
+ Je l'espère bien !...
+
+ Ah çà !
+ Dis donc, toi qui m'assurais n'être que l'ami de Madame ?...
+
+ J'ai changé d'idée !
+ Je préfère être son mari ?...
+
+ « Ceci pourrait s'appeler le duel aux flambeaux.
+ - Nous n'avons fait qu'indiquer hier avec une réserve que chacun appréciera, et quoique ayant été les premiers informés, une rencontre probable entre deux hommes du meilleur monde parisien.
+ La querelle a pris naissance mardi, à la sortie des Italiens.
+ - Une jeune femme qui descendait au bras de son mari n'a pu s'empêcher de sourire. »
+
+ « ... De sourire en remarquant les allures assez singulières d'une dame excessivement connu...
+ Ce sourire, parait-il, blessa le cavalier servant de la dame en question, et celui-là eut le tort grave pour un homme bien élevé de répliquer par un mot que la jeune femme n'entendit pas, mais qui tomba tout juste dans l'oreille du mari.
+ - L'un des deux adversaires m'étant obligé de quitter Paris, demain, - la rencontre doit avoir lieu aujourd'hui, ce soir même dans le jardin d'un hôtel. »
+
Lu par ordre de M. le Lieutenant-général de Police, et approuvé pour être représenté fur le Théâtre de la Foire Saint-Germain et pour être imprimé. À Paris ce 26 Janvier 1767. MARIN.
+Vu l'Approbation. Permis de représenter et d'imprimer, ce 4 Février 1767. DE SARTINE.
+La grenouille vit un boeuf Qui lui sembla de belle taille...+
Fassent fructifier mes veilles littéraires :
+Donnez-leur rendez-vous, dites-leur qu'à tous prix
+Notre petit spectacle égaye les esprits.
+Dites-leur d'y pleurer, afin de contredire
+L'Auteur qui les veut tous faire crever de rire.
+DANSE
+REYKJAVIK.
+PAS DE TROIS.
+Mesdemoiselles Robert, Taglioni, Emarot.
+SNARRA.
+PAS DE DEUX.
+M. Petipa, Mme Cerrito. M. Fuchs, Mme Caroline.
+PAYSANS ISLANDAIS.
+MM. Fanget, Barbier, Caron, Faucher, Raymond, Lagrous. Fanzago, Petit, Bion, Lefèvre, Estienne, Michaut, Jeandron.
+PAYSANNES ISLANDAISES.
+Mlles Steussy, Giraud, Chassagne, Gallois, Alvarez, Bouin, Duprez, Poussin, Inemer, Schlosser, Domange, Paget, Barielle, Est. Rousseau, Cellier.
+DEMOISELLES ISLANDAISES.
+Mlles Dedieu, Gaujelin, Thèse, Cassegrain, Heckmanns 2ème, Mercier, Simon, Dujardins, Mathé, Navarre, Vibon, Buisson, Henriette? Lefèvre? tROISVALETS.
+DAMES ISLANDAISES.
+Melles Rousseau, Villiers, Danse, Hennecart, Jendron, Maupérin, Heckmanns 1ère, Deléaunet, Carabin, Tassin, Toutain, Révolte, Genti, Denfeld, Crétin, Féneux.
+NOBLES ISLANDAIS.
+MM. Vandirs, Duhamel 1er, Mazilier, Goethals, Scio, Grédelue, Lévy, Pissarello, Herbin, Friant, Montfallet, Mirmont, Millot, François 1er, François 2me, Charansonnet.
+PRÊTRES DE LOKI.
+MM. Petit, Lefèvre, Estienne, Bion, Carré, Fanzago, Darcourt, Fanget, Raimond, Caron.
+ACTE DEUXIÈME.
+Mme CERRITO.
+Voluspa. - Mlle BAGDANOFF.
+Sa suite.
+Melles Heckmanns 1ère, Carabin, Tassin et Révolte.
+Brenna. - Mlle LOUISE MARQUET.
+Sa suite.
+Melles Deléaunet, Crétin, Danfeld, Hennecart.
+Fenris. - Melle MATHILDE MARQUET.
+Sa suite.
+Melle Villiers, Danse, Maupérin, Genti.
+NORMA, SCALDA, FREIA, HÉLA.
+Mesdames Rousseau, Jendron, Mathé, Féneux.
+FORGERONS DE L'HÈCLA.
+MM. Petit, Lefèvre, Estienne, Bion, Carré, Fanzago, Darcourt, Fanget, Friant, Charansonnet, Lagrous, Caron, Raimond, Duhamel 1er, Duhamel 2me, et Barbier.
+L'IMAGE DE LODBROG. - M. Mirmont
+NYMPHES DU CRATÈRE.
+Mlles Troisvalets, Rousseau, Genti, Villiers, Féneux, Danfeld, Hennecart, Tassin, Heckmanns 1re, Maupérin, Carabin, Danse, Révolte, Mathé, Jendron, Crétin, Deléaunet, Duprez, Navarre, Heckmanns 2me, Gaujelin, Thèse, Buisson, Dujardins, Domange, Vibon, Cassegrain, Paget, H. Lefèvre, Gallois, E. Rousseau, Bouin, Chassagne, Giraud, Steussy, Simon, Schlosser, Zoé, Jourdain, Mercier, Poussin, Petit, Cellier, Barielle, Pillevoix, Inemer, Mortier, Nella, Ducimetière, Lami, Heckmanns 3me, Davignon, Letourneur, Fénélio, Mahussier, Villeroy, Montgazon, Noël.
+DIVINITÉS DU WALHALLA.
+Frigga. - Mlle LETELLIER.
+Thor. - M. CARRÉ.
+LES NOMES.
+MesdemoiselleS Pillevoix, Inemer et Cellier.
+Niord. - M. ESTIENNE.
+Balder. - M. LEFÈVRE.
+Tyr. - M. BION.
+Brage. - M. FAUCHER.
+Iduna. - Mlle LEBAIGLE.
+Eira. - Mlle DELAUNEU.
+Gésione. - Melle DELION.
+Snotra. - Mlle MIGNARD.
+Gna. - Mlle DESCAMPS.
+Heimdal. - M. PETIT.
+WALKYRIES.
+Melles de Haspe, Motteux, Buneau, Franck.
+Un prêtre d'Odin.
+
+ Quelle charmante fille !
+ Quelle délicieuse compagne pour le foyer domestique !
+ Jamais son mari ne manquera de vêtements de peaux et de tissus de laine.
+
+ Quel beau et vaillant jeune homme !
+ Jamais sa femme ne manquera de gibier et d'huile.
+ L'abondance et la gaieté ne quitteront point la cabane.
+
+ Buvons !
+ Buvons à leur union prospère !
+
+ Que veut le jeune Lodbrog, l'indomptable chasseur ?
+
+ Lodbrog désire être uni à la belle Orfa, la savante fileuse.
+
+ Les deux fiancés s'aiment ?
+
+ Comme les fleurs aiment l'été, comme la neige aime l'hiver.
+
+ Les familles sont d'accord ?
+
+ - Comme le renne et sa compagne.
+
+ C'est bien.
+ Prêtres de Loki, venez assister votre chef.
+
+ Qu'est devenue ma belle fiancée.
+ Un Dieu jaloux, le terrible Loki, me l'a enlevée.
+ Il l'a condamnée à vivre au milieu des flammes où il fait son séjour.
+ Ah !
+ Je l'irais chercher jusque sous la terre, jusque dans le ciel...
+ Mais hélas !
+ Je ne la reverrai plus.
+ Ah !
+ Du moins je saurai mourir pour la rejoindre.
+
+ Avec ce talisman, il peut tout braver.
+
+ Mais où est Orfa ?
+ Où pourrai-je la retrouver ?
+ Où Loki l'a-t-il conduite ?
+
+ C'est là qu'il retrouvera sa fiancée.
+
+ À quoi bon cette flèche d'or ?
+ Elle a pu le préserver lui-même, mais elle a été impuissante pour sauver Orfa, et il n'est arrivé que pour assister à sa métamorphose.
+ Que le Vieillard reprenne son talisman inutile !
+
Droits de reproduction,de traduction et d'exécution réservés.
+
+ Non !
+ Non !
+ Mille fois non !...
+ C'est inutile, je ne reviendrai pas ! -
+
+ Conçoit-on chose pareille ?...
+ Lucien s'avise de me régenter !...
+ De m'imposer sa volonté !...
+ Et de quel droit, je vous prie ?
+ Est-il mon mari?...
+
+ Il est à peine mon fiancé ?...
+ Et déjà il se pose en monsieur "j'ordonne" !...
+ Oh ! oh !
+ Reste à examiner si je suis d'humeur à supporter cette tyrannie !...
+ Merci, Lucien, de m'avoir démasqué, avant le grand jour, l'excellence de ton caractère !
+ T'épousera qui voudra ; sûrement ce ne sera pas moi !
+
+ Ah ! ah ! ah! -
+ Quelle drôle de tête ils avaient tous les trois, quand j'ai quitté le salon !
+ Maman s'efforçait de me calmer... ma prétendante belle-mère se drapait dans sa dignité... et Lucien...
+ Ah ! ah ! ah !...
+ Lucien !...
+ Il avait l'air attrapé d'un renard pris au piège...
+ Ah ! ah !...
+ Ils ont couru après moi.
+ Ah ! Ouiche ! -
+ Je leur ai fermé la porte sur le nez !...
+ Je suis bonne, moi !...
+ Je suis très bonne, moi !...
+ Seulement, je suis comme le lait sur le feu ; quand je bous, je me sauve !...
+
+ Mon mariage est rompu.
+ Pour ça, il n'y a pas d'erreur !...
+ Mais... est-ce bien ?
+ Est-ce mal, ce que j'ai fait là ?
+ Voilà la question que je me pose, maintenant que ma grosse colère est tombée...
+
+ Ce matin maman m'a dit: - « Lisette, tu mettras ce soir ta plus fraîche, ta plus jolie toilette.
+ Nous avons du monde à dîner. -
+ Ah ?
+ Qui donc ? demandai-je. -
+ Notre cousine Desroches et son fils Lucien.
+ - Ah!...»
+ Je n'ai pas compris, tout d'abord, pour quoi j'avais à mettre ma toilette des grands jours en l'honneur de Lucien et de sa mère. -
+ Car, en définitive, ce sont nos proches parents, et dame !... entre parents, on ne fait pas de cérémonies.
+ Mais, quand ils sont entrés au salon, j'ai commencé à flairer quelque chose de particulier.
+ Madame Desroches avait un air solennel dans sa robe à falbalas...
+ Lucien était en redingote noire, souliers vernis, ganté de clair, tout-à-fait correct.
+ Maman s'était mise sur son trente-et-un... -
+
+ La lumière se fit dans mon esprit...
+ C'était une demande en mariage !
+ Madame_Desroches...-
+ Dieu !
+ Qu'elle me déplaît cette femme-là !...
+ Je n'ai jamais pu la souffrir ! - ...
+ Madame_Desroches prit une voix grave pour nous adresser un discours pompeux dont je n'ai pas retenu un traître mot... -
+ Il est vrai que je n'ai pas écouté !
+ Maman a été digne.
+ Elle a essuyé un pleur... là... au coin de l'oeil... du_bout_du_doigt.
+ Puis elle a déclaré que si je voulais bien, elle serait heureuse de donner son consentement.
+ Alors Lucien m'a dit gentiment : -
+ « Tu ne diras pas non? n'est-ce pas, Lisette ?... »
+ J'étais émue, très émue !...
+ J'avais les yeux baissés !
+ Je tourmentais la dentelle de mon corsage !...
+ Ça me faisait un drôle d'effet de m'engager comme ça, brusquement !...
+ J'aurais pu demander vingt-quatre_heures de réflexion, comme Geneviève, l'an dernier, quand elle a épousé Monsieur_de_Ferbeuf...
+ Mais voilà !...
+ Geneviève ne connaissait pas son futur, tandis que moi... je connais Lucien depuis que je suis au monde !...
+ C'eût été idiot de répondre : -
+ « Je verrai !... repassez demain ! »
+ J'ai donc pris mon parti en brave.
+ Quand on veut se noyer et qu'on sait nager, on s'attache les mains.
+ Je me suis comportée de même ; j'ai tendu la main à Lucien en lui disant tout bas, bien bas : -
+ « Tiens ! Prends là ! »
+ Vlan !
+ C'était fait !...
+ J'étais fiancée.
+ Après dîner, nos mamans se sont mises dans un coin pour causer de leurs petites affaires qui, paraît-il, ne nous regardaient pas.
+ Les mots de dot... acquêts.. communauté... contrat... revenaient sans cesse dans leur conversation.
+ Moi, ça ne m'intéressait guère.
+ Aussi, je me suis mise à donner la réplique à Lucien qui, un peu gris -
+ Oh !
+ De plaisir assurément ! - remuait un tas de souvenirs d'enfance, du temps où je portais des robes courtes, et lui, l'affreuse tunique de collégien. -
+ « Te rappelles-tu, Lisette ?
+ Nous avons joué au petit mari et à la petite femme.
+ Qui nous eût dit alors qu'un jour se serait pour tout de bon !
+ - Mais, Monsieur, c'était un jeu, jadis !
+ Tandis qu'aujourd'hui...
+ - C'est tout ce qu'il y a de plus sérieux, a-t-il repris en m'interrompant.
+ - Je le pense bien !...
+ Oh !
+ Le bon temps que celui des vacances !...
+ Te rappelles-tu nos parties de cachette ?...
+ Nos culbutes sur le foin coupé ?...
+ Et l'enterrement de ma poupée? -
+ Parbleu !
+ J'étais l'officiant, et Geneviève, le croque-mort !...
+ Et toi, te souviens-tu, quand nous jouions au petit malade ?...
+ J'étais le docteur ! -
+ Oui, certes !
+ Et tu m'avoueras que ta science manquait d'envolée !...
+ Tu ordonnais toujours le même remède...
+ Et, quel remède ! -
+ Chut !!!
+ N'insiste pas !...
+ Je deviens cramoisi. »
+ Et de rire, comme des fous, à ce rappel des enfantillages et des gaîtés d'autrefois !
+ C'est quand nos mamans ont eu terminé leur entretien,que ça s'est gâté. -
+ « Eh bien, mes enfants, vous êtes heureux ! dit Madame_Desroches en nous montrant son nez pointu et ses longues dents jaunes. -
+ Parfaitement, Madame! répondis-je sans sourciller. -
+ Allons, tant mieux ! -
+ Avez-vous décidé où vous iriez pour votre voyage de noce ?...»
+ Ce fut le brandon de discorde. -
+ « Mais, en Italie, apparemment ! » dit Lucien, qui ne daigna même pas me consulter...
+ Je trouvai le procédé un peu cavalier. -
+ « Je ne suis pas de ton avis, répliquai-je sèchement.
+ Je n'aime pas le pays où fleurit l'oranger.
+ C'est trop rebattu.-
+ Ah !...
+ Et où veux-tu donc aller ? demanda-t-il surpris.
+ - Mon itinéraire est tracé à l'avance.
+ Nous irons en Suède et en Norvège. »
+ J'aurais parlé de la lune que je n'aurais pas provoqué un plus profond étonnement. -
+ « Et pourquoi pas ? repris-je avec un commencement de colère que je sentais gronder...
+ Qu'avez-vous à me regarder de la sorte ?...
+ Est-ce donc si extraordinaire ?...
+ Geneviève y est bien allée avec Monsieur_de_Ferbeuf !...
+ Elle m'a dit des merveilles de son voyage...
+ C'est un pays de féeries : on y voit des forêts de sapins couverts de neige, des lacs immenses sur lesquels on patine en toutes saisons, des rochers à pic surplombant la mer à vous donner le vertige, des jours sans fin où le soleil jamais ne se couche et brille en plein minuit !
+ - Tu es folle, Lisette, s'est-il écrié ; et je ne veux pas être le complice de ta folie !
+ - Tu n'es guère poli, Lucien, ai-je répliqué ; et je suis peu disposée à subir tes leçons. -
+ La femme doit suivre son mari partout où il lui plaira d'habiter, a-t-il ajouté en haussant le ton...
+ C'est la loi !...
+ Si je vais en Italie, tu m'y suivras !... »
+ Oh ! Pour le coup, c'était trop fort !
+ J'ai éclaté ! -
+ « Non ! Non ! lui ai-je dit en me levant.
+ Je ne te suivrai pas... ni là, ni ailleurs...
+ Car je ne serai pas ta femme, entends-tu ?
+ Va te promener... en Italie... où tu voudras !...
+ Je m'en moque autant que de ta personne. »
+ Et sur cette fière déclaration de principes, j'ai décampé,
+
+ Dieu !
+ Que je me sens lasse !...
+ J'ai les membres brisés,
+
+ C'est vrai, tout de même, que j'ai du chagrin !...
+ Un gros chagrin !...
+ Vilain !
+ Méchant !
+ Sans coeur !...
+ Va, tu ne m'aimes pas !...
+ Tu ne m'as jamais aimée !...
+ Autrement...
+ Tu ne m'aurais pas parlé comme ça, ce soir !...
+ Si j'avais tort, il fallait me le dire d'une autre façon !...
+ J'aurais cédé...
+ Car je t'aime, moi !...
+ Et ce n'est pas d'hier !...
+ Tandis que toi...
+
+ Allons !
+ N'y pensons plus !
+ S'il m'aime, il reviendra...
+ Je me laisserai fléchir...
+ Je lui pardonnerai ma colère et ma folie d'un moment.
+ Si non...
+
+ Eh bien !
+ Le fil aura cassé, qui reliait notre joyeux présent au passé dont nous évoquions, il n'y a pas une heure, la délicieuse image estompée dans la brume des souvenirs! Reviendra-t-il ?...
+
+ Un jour, il m'en souvient, - j'étais toute gamine, et malgré la défense de ma mère, j'étais montée dans un cerisier, - il était au pied de l'arbre, tenant à deux mains son chapeau de paille, et je m'amusais à lui jeter sur la bouche, dans l'oeil, partout ailleurs que dans le chapeau de paille, dans l'oeil, partout ailleurs que dans le chapeau qu'il tendait, les fruits vermeils dont j'étais entourés.
+ Tout-à-coup, tandis que je visais à mettre en selle sur son nez deux cerises jumelles, je perdis l'équilibre...
+ Il poussa un cri en ma voyant précipitée sur le sol.
+ La frayeur, plus que le mal, me fit évanouir...
+ Quand je revins à moi, Lucien était blême,, les yeux pleins de larmes, et tremblait de tous ses membres.
+ Il fallut l'emporter et le coucher...
+ Toute la nuit, il eut une grosse fièvre, et dans son délire mon nom revenait sans cesse sur ses lèvres...
+ Il aimait bien sa petite femme en ce temps là !... -
+ Est-il possible qu'il ait oublié cet incident de notre vis commune ?....
+ Non !
+ Quelque chose me dit... là.... qu'il souffre autant que moi de cette sotte algarade !...
+ Qu'il va venir !...
+
+ Hein ?
+ Du bruit ?...
+
+ Qui est là ?...
+
+ C'est moi, Lisette !...
+ Je m'en vais !...
+ Adieu, Lisette !...
+
+ C'est lui !...
+
+ Ne t'en vas pas, Lucien ; j'ai à te parler ! -
+
+ Que lui dirais-je pour traiter de la paix ?...
+ Bon !
+ J'y suis !... -
+ Je lui dirai que, s'il veut m'en croire, nous n'irons ni en Suède, ni en Italie, mais que notre lune de miel brillerait d'un plus doux éclat chez nous, dans notre campagne, qui voit mûrir de si belles cerises et qui a vu éclore dans nos coeurs notre amour printanier.
+
+ Adieu, Marie.
+
+ À ce soir, grand-père.
+
+ C'est ma petite fille, Messieurs, c'est toute ma famille, depuis que j'ai perdu mon pauvre fils.
+ Chère petite Marie !
+ Elle n'a pas seize ans, et travaille déjà comme une femme.
+ Elle dit qu'elle veut à son tour aider son grand-papa, qui a pu l'élever, grâce à la pension de sa croix et à sa retraite.
+ Elle va se promener avec lui le dimanche ; elle le soigne et lui fait de la tisane quand il est malade, le gâte en tout temps.
+
+ Et lui donne des fleurs le jour de sa fête !
+
+ Comme ça sent bon les fleurs données par nos enfants !
+ Ça embaume le coeur, quoi !
+
+ Qui va là ?
+
+ Bonjour, Simon.
+
+ Mathias !...
+ Bonjour, mon vieux Mathias...
+ Comment vont les rhumatismes ?...
+
+ Heu ! Heu ! Nous aurons de la pluie demain,
+
+ Ce bras-là pèse cent livres.
+
+ Tiens !
+ J'aurais parié que nous aurions du beau temps ; ma jambe droite est aussi gaillarde que sa soeur.
+
+ Tu ne souffres jamais comme tout le monde, toi.
+
+ Mauvaise langue !...
+ Qu'est-ce que tu caches là ?
+
+ Eh bien !
+ N'est-ce pas aujourd'hui la Saint-Simon ?...
+ C'est aujourd'hui la Saint-Simon, et je t'apporte mon cadeau.
+
+ Brave Mathias !
+
+ Une tabatière !
+
+ Avec le portrait du grand homme.
+ Est-il assez ressemblant, hein...
+
+ Étonnant.
+ Tu l'as donc vu de près, toi ?
+ Moi, je n'ai jamais eu cette chance-là.
+
+ Moi non plus.
+ Quand je dis qu'il est ressemblant, je dis qu'il ressemble... à ses portraits.
+
+ Oh !
+ Pour ça, il est frappant.
+
+ J'avais d'abord pensé à t'apporter un nez d'argent, mais tu m'as dit, l'autre jour, que le tien était encore en bon état.
+
+ Oh oui !
+ Il me fera bien encore la fin de l'année.
+ Brave Mathias, va, de penser comme ça à son vieux camarade !
+
+ C'te bêtise !
+ Toi et ta petite Marie, n'êtes-vous pas mes seuls amis à présent ?...
+ À qui diable veux-tu que je pense, si ce n'est à vous ?...
+ D'abord, quand je ne le voudrais pas, je pense à toi tous les deux jours.
+
+ Qu'est-ce qu'il chante ?
+
+ Mes jours de barbe.
+ Chaque fois que je me rase, je me regarde dans le miroir ; chaque fois que je me regarde dans le miroir, je revois ma balafre ; chaque fois que je revois ma balafre, je repense à la bataille_d_Eylau et chaque fois que je repense la bataille_d_Eylau, je repense à toi, puisque c'est là que nous fîmes connaissance.
+
+ Et dans des circonstances majeures, comme on dit mon petit Mathias avait affaire, pour le quart d'heure, à deux géants de Cosaques qui ne voulaient pas lui livrer leur drapeau.
+ Il ne leur demandait que ça, le gourmand.
+
+ Le plus méchant m'avait déjà allongé l'estafilade en question, que je lui avais rendue avec les intérêts.
+
+ Et l'autre grand mâtin allait venger son camarade.
+
+ Quand un cuirassier de la garde tombe au milieu de nous et m'enlève dans le tas.
+ Je tenais toujours le drapeau_russe, mon adversaire ne tâchait pas de son côté.
+
+ Si bien que j'emporte la grappe vivante au galop de mon cheval.
+
+ Et le moment d'après, mon brave Simon présentait à Murat en personne un camarade sauvé, un prisonnier russe et un drapeau enlevé à l'ennemi.
+ - Qui qu'a pris le drapeau ? s'écrie Murât, en secouant son panache de corbillard.
+ - C'est Simon, que je réponds.
+ – C'est Mathias, que tu répliques...
+ Tu as toujours eu l'esprit contrariant, toi.
+
+ Et Murat nous décore tous les deux.
+
+ Un rude temps, Simon, mais un beau temps !
+
+ Nous allons boire à ce temps-là, camarade !
+
+ Tiens !
+ Depuis quand que t'as des jardins dans ta maison, toi ?
+
+ C'est le cadeau de ma petite-fille...
+ Elle a aussi pensé à ma fête.
+ Et elle n'a pas seulement songé à l'agréable, mais encore à l'utile..., utile durci, comme disait mon capitaine.
+ Elle m'a donné une douzaine de mouchoirs marqués à mon nom.
+
+ Comme c't enfant-là comprend les besoins du coeur humain !...
+ Et comme c'est ourlé !...
+ Est-ce ourlé !
+ Veux-tu que je te dise : eh bien ! le jour de sa fête, moi je lui donnerai un châle, à ta petite Marie.
+
+ Brave Mathias !
+ Mais ne va pas faire de folies au moins.
+
+ Des folies !
+ Eh bien !
+ Quand je ferais des folies pour notre petite-fine, je voudrais bien savoir qui m'en empêcherait.
+ Je suis riche, d'ailleurs, puisque j'ai cinq cents francs de rente, outre ma pension.
+ Ça me rappelle que pas plus tard qu'hier, j'ai été toucher mon revenu chez mon notaire...
+ Car j'ai un notaire, moi!
+
+ Eh bien !
+ Moi aussi, j'ai un notaire.
+ Seulement toi, t'es le client du tien ; moi, je suis petit clerc chez le mien, voilà toute la différence.
+
+ Voilà !...
+ Je te disais donc qu'hier je sortais de chez mon notaire, le gousset garni.
+ Bah !
+ Que je me dis, je m'en vais me régaler.
+ Et je m'en vais dîner au Palais-Royal..., à trente-deux_sous.
+
+ Sardanaple, va !
+
+ Le fait est que c'était splendide..., de lumière surtout.
+ On voit bien clair pour quinze_sous ; on mange pour le reste.
+ Eh bien oui, mais en sortant de là, v'là qu'il me prend un remords.
+ Comment, vieil égoïste, que je me disais, tu fais comme ça des débauches tout seul! c'est vilain, ça !
+ Le fait est que c'était vilain.
+ Et je me bougonnais en descendant la rue_du_Bouloy, quand j'aperçois, auprès d'un épicier, trois petits ramoneurs en contemplation devant un tonneau de figues sèches.
+ Paraît qu'on aime les figues ?
+ Que je dis comme ça, sans avoir l'air.
+ - Ah! oui, monchieur l'invalide, répond le plus petit de la bande.
+ Eh bien !
+ Emplissez vos poches, mes enfants, et que ça déborde.
+ Ils ne se le font pas dire deux fois.
+ Je les aide moi-même au dégât, je prenais de la main droite, pendant que je payais de la main gauche... sans compter.
+
+ C'est juste, puisqu'il est écrit que la main gauche ne doit pas savoir ce que donne la main droite.
+
+ Ah !
+ L'épicier a compté, lui ; c'était son affaire à c't homme !...
+ Eh bien !
+ Tu me croiras si tu voudras, mais il fallait ces figues-là pour faire passer mon dîner...
+ Et je m'en suis été fier comme un préfet en tournée.
+ Seulement, en rentrant chez moi, - j'avais plus le sou.
+
+ Tu te ruineras, prodigue !
+ À ta santé !
+
+ À la tienne, mon vieux.
+
+ Gentille eau-de-vie que tu as là.
+
+ C'est un cadeau de mon ex-capitaine.
+ À sa mémoire !
+
+ On ne boit ce nanan-là qu'avec des amis, des lapins qui ont vu le soleil d'Austerlitz.
+ Voilà un beau jour.
+
+ Et une belle bataille !
+ Je m'y vois encore.
+ Notre corps d'armée s'avançait sur la gauche de l'armée_russe.
+
+ Non, sur la droite.
+
+ Sur la gauche.
+
+ Sur la droite, je le sais bien, puisque j'ai été blessé ce jour-là.
+
+ Ostiné, va !
+
+ Mauvaise tête !
+
+ Tiens !
+ Veux-tu que je dise pourquoi tu confonds tes positions, c'est parce que t'es gaucher.
+ Un gaucher se trompe toujours de côté, c'est son droit.
+
+ Allons !
+ Bon !
+ Le voilà parti.
+ Pour cinq ou six petits verres.
+ Mon Dieu !
+ Comme t'as la tête faible !
+
+ Vlà qu'il confond encore !
+ Mais c'est toi, mon pauvre Simon, qu'un petit verre étourdit.
+ C'est vrai !
+ Les femmes t'ont toujours reproché de ne pouvoir supporter un verre de vin.
+ Elles disaient : - Simon est un joli cavalier.
+ Et de fait, tu étais un joli...
+ Dame !
+ Maintenant tu n'es plus... mais autrefois tu étais un joli cavalier...
+ Seulement les femmes te reprochaient.
+
+ Qu'est-ce qu'il dit ?
+ Qu'est-ce qu'il dit ?...
+ Les femmes m'ont toujours adoré, au contraire !...
+ En ai-je fait des malheureuses, en 1810 !
+
+ Nous étions jeunes alors !
+
+ Je n'avais pas vingt-cinq_ans.
+
+ En 1810 ?
+ Tu n'as donc pas tes petits quatre_vingt-dix_ans.
+
+ Je les aurai aux vendanges.
+
+ Gamin, va !
+ Moi je les ai eus à la Trinité.
+ Mais les femmes me disent généralement que je ne les porte pas.
+
+ Ah !
+ C'est que de notre temps on savait faire des hommes.
+
+ On n'en fait plus comme nous.
+
+ C'est défendu.
+ Te souviens-tu de certaine garnison à Dresde en Saxe ?
+
+ Parbleu !
+ Je sais bien que ça n'est pas en Picardie.
+ Pourquoi dis-tu Dresde en Saxe ?
+
+ Je dis Dresde en Saxe... parce qu'on dit Dresde en Saxe... dans la société.
+ Te rappelles-tu Charlotte ?
+
+ Si je me rappelle Char...
+ Ah non !
+ Je ne me rappelle pas du tout.
+
+ La belle Charlotte de Dresde... qui avait des yeux grands comme...
+
+ Comme ça.
+
+ J'y suis...
+
+ J'y suis !
+ Et des mains mignonnes...
+
+ Plus mignonnes que ça, par exemple.
+ Si je m'en souviens !
+ Ah !
+ Je l'ai bien aimée cette femme-là !
+ Elle me le rendait, du reste.
+
+ Qu'est-ce qu'il dit encore ?
+
+ Je dis : Ah !
+ Je l'ai bien aimée cette femme-là !
+
+ Il bat la campagne !
+ Comme tu baisses, mon pauvre Mathias !
+ C'est moi qu'elle adorait, à preuve que je devais t'épouser, sitôt l'Europe conquise.
+
+ Toi !
+
+ Parbleu !
+
+ Toi !...
+ Comme si ce n'était pas moi qui allais pas tous les matins dans la rue aux Juifs, où elle habitait.
+ Dis un peu que je n'allais pas tous les matins dans la rue_aux_Juifs où elle habitait.
+
+ Mon Dieu !
+ Je ne dis pas que tu n'allais pas tous Les matins dans la rue_aux_Juifs où elle habitait... mais c'était pour me faire la courte échelle pendant que je lui jetais des bouquets par sa fenêtre.
+
+ Car je lui jetais des fenêtres par ses bouquets....
+ Non...
+
+ Bon !
+ Il embrouille maintenant la fenêtre et les bouquets...
+ Voyons, Simon !
+ Du sang-froid, mon ami !
+ Tu sais bien que c'est moi qui menais Charlotte, tous les lundis, au bal.
+
+ Mais non, puisque c'est moi qui la conduisais tous les dimanches, à la comédie...
+ Que diable !
+ Raisonnons, Mathias !
+
+ C'est ça, raisonnons.
+
+ Et suis bien mon raisonnement...
+ Les femmes n'aiment que les beaux hommes, n'est-ce pas ?
+
+ Eh bien ?
+
+ Eh bien !
+ Tu n'as jamais été un bel homme, toi.
+
+ Je n'ai jamais été bel homme, bel homme, c'est possible ; mais j'avais mes agréments.
+ D'abord les femmes m'ont toujours trouvé de la conversation.
+
+ Des bêtises !
+ Les femmes n'ont jamais aimé des pousse-cailloux de fantassins comme toi.
+
+ Pousse-cailloux !
+ Mais c'est avec ces pousse-cailloux-là que Napoléon a fait le tour de l'Europe, et sans passeport, mon vieux.
+ S'il n'avait eu, pour lui frayer son chemin, que des poulets d'Inde comme vous autres, il n'aurait seulement pas dépassé Vaugirard !...
+ Pousse-cailloux !
+
+ Tu offenses mon arme, Sargent.
+
+ Je lui rends justice, maréchal_des_logis !
+ Et je dis que la cavalerie n'est, bonne... qu'à monter à cheval.
+ La vraie force de la France, c'est l'infanterie !
+
+ Vive l'infanterie !
+
+ Vive la cavalerie !
+
+ La cavalerie !
+ Mais a-t-elle seulement remporté une bataille, la cavalerie ?
+ A-t-elle jamais pris une ville d'assaut, la cavalerie ?
+
+ Ah mais !
+ Ah mais !
+ Tu me manques, Mathias.
+
+ Je te touche, au contraire, et juste...; puisque vous vous fâchez.
+
+ Sache, mon petit tourlourou, qu'un cavalier vaut deux fantassins, c'est connu ça ; c'est dans tous les livres !
+
+ À preuve que j'ai fait descendre la garde un jour à deux hussards autrichiens qui me barraient le passage.
+
+ Je te parle des cavaliers français, imbécile !
+
+ Ç'aurait été des cavaliers français imbéciles, que ç'aurait été absolument la même chose.
+
+ J'en connais un qui rabattrait ta crânerie, Sargent.
+
+ Je voudrais bien voir cela, maréchal_des_logis.
+
+ Ça ne sera pas long.
+
+ En garde, mon petit voltigeur.
+
+ En garde, mon grand cuirassier !
+
+ Cré !!!
+ Aide-moi donc à tirer mon sabre...
+ Il est rouillé dans le fourreau.
+
+ Prends garde de lui ressembler.
+
+ Nous verrons bien...
+
+ Tonnerre !
+ Sommes-nous bêtes ?
+
+ Tu recules ?
+
+ Non pas, morbleu mais nous ne sommes pas des vagabonds pour nous battre ainsi sans faire nos testaments.
+ Donne-moi de l'encre et du papier.
+
+ C'est juste.
+ En voilà.
+
+ Merci.
+
+ Achevons.
+
+ Écrivons.
+
+ As-tu fini, tête de mule ?
+
+ Oui, tête de baudet.
+
+ Eh bien reprenons la conversation.
+
+ Oh !
+ Oh !
+ Tu n'as plus ton jarret de vingt_ans, mon camarade.
+
+ Ta vue baisse, mon vieux !
+ Tu veux tuer les mouches, comme si nous n'étions pas en hiver.
+
+ Allons, bon !
+ J'ai oublié de signer mon testament.
+
+ Tiens !
+ Moi aussi !!!
+
+ Qu'est-ce que j'ai grisonné là ?
+
+ Mais ça n'est pas mon écriture !
+
+ « Si je meurs je donne toute ma fortune. à mon vieil ami Simon et à sa petite-fille. »
+
+ « Si je succombe, je lègue ma petite-fille à mon vieil ami Mathias. »
+
+ Il me lègue sa petite-fille.
+
+ Comme ça, si je l'avais tué, il me laissait son bien.
+
+ Si je l'avais descendu, il me léguait sa petite Marie !
+ Ah !
+ C'est gentil, ça.
+ Brave Simon, va !
+
+ Brave Mathias !
+
+ Dans mes bras, mon ami, dans mes bras.
+
+ Voyons !
+ Ne pleure donc pas comme ça, l'argent.
+
+ C'est plus fort que moi, maréchal_des_logis !
+ Quand je pense que nous allions peut-être....
+ Faut avouer que je suis un fier animal.
+
+ C'est moi qui suis une bête...
+ Brute...
+ D'abord, je te taquine toujours... et pour des bêtises encore.
+
+ Mais non !
+ Puisque c'est moi qui !
+ Au fait, maintenant que je me rappelle, c'était bien toi que Charlotte aimait.
+
+ Non !
+ À présent je me souviens, c'est toi qu'elle préférait.
+
+ Je te dis que non !
+
+ Je te dis que si !
+
+ Je te dis.
+
+ Eh bien !
+ Allons-nous recommencer ?
+
+ Tiens !
+ Veux-tu que je te dise ?
+ Charlotte ne nous aimait ni l'un ni l'autre.
+
+ À moins qu'elle ne nous ait préférés tous les deux.
+
+ Silence, mauvais sujet !
+ Voici ta petite Marie.
+
+ Mais, Rosette, conçoit-on la négligence de ces médecins ?
+
+ Ah !
+ Madame, cela n'a pas de nom.
+
+ Moi qui suis souffrante !
+
+ Madame_la_Duchesse qui est si souffrante !
+
+ Moi qui n'ai jamais consenti à prendre d'autre médecin que ce bon vieux Tronchin !
+ Le chevalier m'en a voulu longtemps.
+
+ Pendant plus d'une heure.
+
+ C'est-à-dire qu'il a voulu m'en vouloir, mais qu'il n'a pas pu.
+
+ Il vient d'envoyer deux bouquets par son coureur.
+
+ Et il n'est pas venu lui-même !
+ Ah !
+ C'est joli.
+ Moi, je vais sortir à cheval.
+
+ Monsieur_Tronchin a défendu le cheval à Madame.
+
+ Mais je suis malade, j'en ai besoin.
+
+ C'est parce que Madame_la_Duchesse est malade, qu'il ne le faut pas.
+
+ Alors je vais écrire au chevalier pour le gronder.
+
+ Monsieur_Tronchin a défendu à Madame de s'appliquer et de tenir sa tête baissée.
+
+ Eh bien !
+ Je vais chanter, ouvrez le clavecin, Mademoiselle.
+
+ Mon Dieu !
+ Comment dirai-je à Madame que Monsieur_Tronchin lui a défendu de chanter.
+
+ Il faut donc que je me recouche, puisque !
+ Je ne puis rien faire.
+ - Je vais lire.
+ Non, fais-moi la lecture.
+ - Je vais me coucher sur le sofa, la tète me tourne, et j'étouffe.
+ Je ne sais pourquoi...
+
+ Voici Estelle_de_Monsieur_de_Florian et les ORAISONS_CÉLÈBRES_de_Monsieur_de_Bossuet.
+
+ Lis ce que tu voudras, va.
+
+ « Némorin, à chaque aurore, allait cueillir les bleuets qu'Estelle...
+ Les bleuets qu'Estelle aimait à mêler dans les longues tresses de ses cheveux noirs. »
+
+ Qu'il est capricieux le chevalier !
+ Il ne veut plus que je mette de corps en fer, comme si l'on pouvait sortir sans cela.
+ Lis toujours, va.
+
+ « Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets !
+ Vous vivrez éternellement dans ma mémoire. »
+
+ Je ne conçois pas qu'il ne soit pas encore arrivé.
+ Comme il était bien hier avec ses épaulettes de diamant !
+
+ « Heureux, si averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau.
+ ( Tiens, c'est drôle ça : Au troupeau ! )
+ Troupeau que je dois nourrir de la parole divine, les restes d'une voix qui tombe, et... »
+
+ Le voilà commandeur de Malte à présent.
+ Sans ses voeux, il se serait peut-être marié, cependant.
+
+ Oh!
+ Madame !
+ Par exemple !...
+
+ Lis toujours, va, je t'entends.
+
+ ... « Et d'une ardeur qui s'éteint... »
+ Ah !
+ Les bergers et les troupeaux, ce n'est pas bien amusant;;
+
+ Crois-tu qu'il se fût marié ?
+ - Dis.
+
+ Jamais sans la permission de Madame_la_Duchesse.
+
+ S'il n'avait pas dû être plus marié que Monsieur_le_Duc, j'aurais bien pu la lui donner...
+ Hélas !
+ Dans quel temps vivons-nous ?
+ Comprends-tu bien qu'un homme soit mon mari, et ne vienne pas chez moi ?
+ M'expliquerais-tu bien ce que c'est précisément qu'un maître inconnu qu'il me faut respecter, craindre et aimer comme Dieu, sans le voir, qui ne se soucie de moi nullement, et qu'il faut que j'honore ; dont il faut que je me cache, et qui ne daigne pas m'épier ; qui me donne seulement son nom à porter de bien loin, comme on le donne à une terre abandonnée?
+
+ Madame, j'ai un frère qui est fermier, un gros fermier de Normandie, et il répète toujours que lorsqu'on ne cultive pas une terre, on ne doit avoir de droit ni sur ses fleurs ni sur ses fruits.
+
+ Qu'est-ce que vous dites donc, Mademoiselle ?
+ Cherchez ma montre dans mon écrin.
+
+ - Tiens, ce que tu dis là n'a pas l'air d'avoir le sens commun.
+ Mais je crois que cela mènerait loin en politique, si l'on voulait y réfléchir.
+ Donne-moi un flacon, je me sens faible.
+ - Ah !
+ Quand j'étais au couvent, il y a deux ans, si mes bonnes religieuses m'avaient dit comment on est marié, j'aurais commencé par pleurer de tout mon coeur, toute une nuit, ensuite j'aurais bien pris une grande résolution ou de me faire abbesse ou d'épouser un homme qui m'eût, aimée. Il est vrai que ce n'aurait pas été le chevalier, ainsi
+
+ Ainsi il vaut peut-être mieux que le monde aille de cette façon.
+
+ Mais de cette façon, Rosette, je ne sais comment je vis, moi.
+ Il est bien vrai que je remplis tous mes devoirs de religion, mais aussi, à chaque confession, je fais une promesse de rupture que je ne tiens pas.
+ Je crois bien que l'abbé n'y compte guère, à dire le vrai, et ne le demande pas sérieusement ; mais enfin c'est tromper le bon Dieu.
+ Et pourquoi cette vie gênée et tourmentée, cet hommage aux choses sacrées, aussi public que le dédain de ces choses ?
+ Moi, je n'y comprends rien, et tout ce que je sais faire, c'est d'aimer celui que j'aime.
+ Je vois que personne ne m'en veut après tout.
+
+ Ah !
+ Bon_Dieu !
+ Madame, vous en vouloir ?
+ Bien au contraire, je crois qu'il n'y a personne qui ne vous sache gré à tous deux de vous aimer si bien.
+
+ Crois-tu ?
+
+ Cela se voit dans les petits sourires d'amitié qu'on vous fait en passant quand il donne le bras à Madame_la_Duchesse.
+ Vos deux familles le reçoivent ici avec un amour...
+
+ Oui, mais il n'est pas ici chez lui... et cependant c'est là ce qu'on appelle le plus grand bonheur du monde, et tel qu'il est, on n'oserait pas le souhaiter à sa fille.
+
+ Sa fille !
+ Ce mot-là me fait trembler.
+ Est-ce un état bienheureux que celui où l'on sent que, si l'on était mère, on en mourrait de honte ; que l'insouciance et les ménagements du grand inonde finiraient là tout à coup, et se changeraient en mépris et en froideur ; que les femmes qui pardonnent à l'amante fermeraient leur porte à la mère, et que tous ceux qui me passent l'oubli d'un mari, ne me passeraient pas l'oubli de son nom ?
+ Car ce n'est qu'un nom qu'il faut respecter, et ce nom vous lient enchaînée, ce nom est suspendu sur votre tête, comme une épée !
+ Que celui qu'il représente soit pour vous tout ou rien, n'importe !
+ Nous avons ce nom écrit sur le collier, et au bas : J'appartiens...
+
+ Mais, Madame, serait-on si méchant pour vous ?
+ Madame est si généralement aimée !
+
+ Quand on ne serait pas méchant, je me ferais justice à moi-même et une justice bien sévère, croyez-moi.
+ - Je n'oserais pas seulement lever les yeux devant ma mère, et même, je crois, sur moi seule.
+
+ Bon Dieu !
+ Madame m'effraie,
+
+ Assez.
+ Nous parlons trop de cela, Mademoiselle, et je ne sais pas comme nous y sommes venues.
+ Je ne suis pas une héroïne de roman, je ne me tuerais pas, mais certes j'irais me jeter pour la vie dans un couvent.
+
+ Monsieur_le_docteur_Tronchin demande si madame la duchesse peut le recevoir.
+
+ Allez dire qu'on le fasse entrer.
+
+ Ah !
+ Voilà mon bon vieux docteur !
+
+ Allons, appuyez-vous sur votre malade.
+
+ Quelle histoire allez-vous me conter ?
+ Docteur, quelle est l'anecdote du jour ?
+
+ Ah !
+ Belle dame !
+ Belle dame !
+ Vous voulez savoir les anecdotes des autres, prenez garde de ni en fournir une vous-même.
+ Donnez-moi votre main, voyons ce pouls, Madame...
+ Mais asseyez-vous...
+ Mais ne remuez donc pas toujours, vous êtes insaisissable.
+
+ Eh bien !
+ Voyons, que me direz-vous ?
+
+ Vous savez l'histoire qui court sur la Présidente, n'est-il pas vrai, Madame ?
+
+ Eh !
+ Mon Dieu, non, je ne m'informe point d'elle.
+
+ Eh !
+ Pourquoi ne pas vouloir vous en informer ?
+ Vous vivez par trop détachée de tout aussi.
+ - Si j'osais vous donner un conseil, ce serait de montrer quelque intérêt aux jeunes femmes de la société dont l'opinion pourrait vous défendre, si vous en aviez besoin un jour ou l'autre.
+
+ Mais j'espère n'avoir nul besoin d'être défendue, Monsieur.
+
+ Ah !
+ Madame, je suis sûr que vous êtes bien tranquille au fond du coeur ; mais je trouve que vous me faites appeler bien souvent depuis quelques jours.
+
+ Je ne vois pas, Docteur, ce que vos visites ont de commun avec l'opinion du monde sur moi.
+
+ C'est justement ce que me disait la présidente, et elle s'est bien aperçue de l'influence d'un médecin sur l'opinion publique.
+ - Je voudrais bien vous rendre aussi confiante qu'elle.
+ - Je l'ai tirée, ma foi, d'un mauvais pas ; mais je suis discret, et je ne vous conterai pas l'histoire, puisque vous ne vous intéressez pas à elle.
+ - Point de fièvre, mais un peu d'agitation.... restez, restez.... ne m'ôtez pas votre main, Madame.
+
+ Quel âge a-t-elle, la présidente ?
+
+ Précisément le vôtre, Madame.
+ Ah !
+ Comme elle était inquiète !
+ Son mari n'est pas tendre, savez-vous ?
+ Il allait, ma foi, faire un grand éclat.
+ Ah !
+ Comme elle pleurait !
+ Mais tout cela est fini à présent.
+ Vous savez, belle dame, que la reine va jouer la comédie à Trianon ?
+
+ Mais la présidente courait donc un grand danger ?
+
+ Un danger que peuvent courir bien des jeune femmes ; car enfin j'ai vu bien des choses comme cela dans ma vie.
+ Mais autrefois cela s'arrangeait par la dévotion plus facilement qu'aujourd'hui.
+ À présent c'est le diable.
+ Je vous trouve les yeux battus.
+
+ J'ai mal dormi cette nuit après votre visite.
+
+ Je ne suis pourtant pas méchant, bien effrayant pour vous.
+
+ C'est votre bonté qui est effrayante, et votre silence qui est méchant.
+ Cette femme dont vous parlez, voyons, après tout, est-elle déshonorée ?
+
+ Non, mais elle pouvait l'être et de plus abandonnée de tout le monde.
+
+ Et pourtant tout le monde sait qui elle aime.
+
+ Tout le monde le sait et personne ne le dit.
+
+ Et tout d'un coup on eût changé à ce point ?
+
+ Madame, quand une jeune femme a une faiblesse publique, tout le monde a son pardon dans le coeur et sa condamnation sur les lèvres.
+
+ Et les lèvres nous jugent.
+
+ Ce n'est pas la faute qui est punie, c'est le bruit qu'elle fait.
+
+ Et les fautes, Docteur, peuvent-elles être toujours sans bruit ?
+
+ Les plus bruyantes, Madame, ce sont d'ordinaire les plus légères fautes, et les plus fortes sont les plus silencieuses; j'ai toujours vu ça.
+
+ Voilà qui est bien contre le bon sens, par exemple.
+
+ Comme tout ce qui se fait dans le monde, Madame.
+
+ Docteur, vous êtes franc ?
+
+ Toujours plus qu'on ne le veut, Madame.
+
+ On ne peut jamais l'être assez pour quelqu'un dont le parti est pris d'avance.
+
+ Un parti pris d'avance est souvent le plus mauvais parti, Madame.
+
+ Que vous importe ?
+ C'est mon affaire ; je veux savoir de vous quelle est ma maladie ?
+
+ J'aurais déjà dit ma pensée à Madame_la_Duchesse, si je connaissais moins le caractère de Monsieur_le_Duc.
+
+ Eh bien !
+ Que ne me parlez-vous de son caractère ?
+ Quoique je n'aime pas à l'entendre nommer, comme il n'est pas impossible qu'il ne survienne par la suite quelque événement qui nous soit commun... je...
+
+ Il est furieusement fantasque, Madame ; je l'ai vu haut comme ça !
+
+ Et toujours le même, suivant tout à coup son premier mouvement avec une soudaineté irrésistible et impossible à deviner.
+ Dès l'enfance, cette impétuosité s'est montrée et n'a fait que croître avec lui.
+ Il a tout fait de cette manière dans sa vie, allant d'un extrême à l'autre sans hésiter.
+ Cela lui a fait faire beaucoup de grandes choses et beaucoup de sottises aussi, mais jamais rien de commun.
+ Voilà son caractère.
+
+ Vous n'êtes pas rassurant, docteur ; s'il va d'un extrême à l'autre, il m'aimera bien, et je ne saurai que faire de cet amour-là.
+
+ Ce n'est pourtant pas ce qui peut vous arriver de pis aujourd'hui, Madame.
+
+ Ah !
+ Mon Dieu, que me dit-il là !
+
+ C'est un fort grand seigneur, Madame, que Monsieur_le_Duc.
+ Il a toute l'amitié du roi et un vaste crédit à la cour. Quiconque l'offenserait serait perdu sans ressource, et comme il a beaucoup d'esprit et de pénétration, comme outre cela il a l'esprit ironique et cassant, il n'est pas possible de lui insinuer sans péril un plan de conduite, quel qu'il soit, et vouloir le diriger serait une haute imprudence.
+ Le plus sûr avec lui serait une franchise totale.
+
+ Assez, assez, par grâce, je vous en supplie, Monsieur ; je me sens rougir à chaque mot que vous me dites, et vous me jetez dans un grand embarras.
+
+ Je vous l'avoue, je tremble comme vin enfant.
+ - Je ne puis supporter cette conversation.
+ Les craintes terribles qu'elle fait naître en moi me révoltent et m'indignent contre moi-même.
+ - Vous êtes bien âgé, Monsieur_Tronchin, mais ni votre âge, ni votre profession savante ne m'empêchent d'avoir honte qu'un homme puisse me parler, en face, de tant de choses que je ne sais pas, moi, et dont on ne parle jamais !
+
+ Je ne veux plus que nous causions davantage.
+
+ La vérité que vous avez à me dire et que vous me devez, écrivez-la ici, je l'enverrai prendre tout_à_l_heure.
+ - Voici une plume.
+ Ce que vous écrirez pourrait bien être un arrêt, mais je n'en aurai nul ressentiment Contre vous,
+
+ Votre jugement est le jugement de Dieu.
+ - Je suis bien malheureuse !
+
+ La science inutile des hommes ne pourra jamais autre chose que détourner une douleur par une autre plus grande.
+ À la place de l'inquiétude et de l'insomnie, je vous donne la certitude et le désespoir.
+
+ Elle souffrira, parce qu'elle a une âme candide dans son égarement, franche au milieu de la fausseté du monde, sensible dans une société froide et polie, passionnée dans un temps d'indifférence, pieuse dans un siècle d’irréligion.
+ Elle souffrira sans doute ; mais, dans le temps et le monde où nous sommes, la nature usée, faible et fardée dès l'enfance, n'a pas plus d'énergie pour les transports du malheur que pour ceux de la félicité.
+ Le chagrin glissera sur elle, et d'ailleurs je vais lui chercher du secours à la source même de son infortune.
+
+ Monsieur, je viens chercher.
+
+ Prenez, Mademoiselle.
+
+ Son mari doit être à Trianon, ou à Versailles.
+ Je puis m'y rendre dans deux_heures_et_demie.
+
+ Rosette revient toute pâle...
+
+ Ah !
+ Monsieur, voyez Madame_la_Duchesse, comme elle pleure !
+
+ Ce n'est rien, ce n'est rien qu'une petite attaque de nerfs ; vous lui ferez prendre un peu d'éther, et vous brûlerez une plume dans sa chambre ; celle-ci, par exemple.
+ - Sa maladie,ne peut pas durer plus de huit mois.
+ Je vais à Versailles.
+
+ Comme ces vieux médecins sont durs !
+
+ Vous en êtes bien sûr, Docteur ?
+
+ Monsieur_le_Duc, j'en réponds sur ma tête.
+
+ Allons, il est bon de savoir à quoi s'en tenir.
+ Vous la voyez très souvent? Asseyez-vous donc!
+
+ Presque tous les jours je passe chez elle pour des migraines, des bagatelles...
+
+ Et comment est-elle, ma femme ?
+ Est-elle jolie, est-elle agréable ?
+
+ C'est la plus gracieuse personne de la terre.
+
+ Vraiment ?
+ Je ne l'aurais pas cru ; le jour où je la vis, ce n'était pas ça du tout.
+ C'était tout empesé, tout guindé, tout raide ; ça venait du couvent, ça ne savait ni entrer, ni sortir ; ça saluait tout d'une pièce ; de la fraîcheur seulement, la beauté du diable.
+
+ Oh !
+ À_présent, Monsieur_le_Duc, c'est tout autre chose.
+
+ Oui, oui, le chevalier doit l'avoir formée.
+ Le petit chevalier a du monde.
+ Je suis fâché de ne pas la connaître.
+
+ Ah !
+ Çà, il faut avouer, entre nous, que vous en aviez bien la permission.
+
+ Ça peut bien être !
+ Je ne dis pas le contraire, Docteur, mais, ma foi, c'était bien difficile. La marquise est bien la femme la plus despotique qui jamais ait vécu ; vous savez bien qu'elle ne m'eût jamais laissé marier, si elle n'eût été bien assurée de moi, et bien certaine que ce serait ici, comme partout à présent, une sorte de cérémonie de famille, sans importance et sans suites.
+
+ Sans importance, cela dépend de vous, mais sans suites, Monsieur_le_Duc.
+
+ Cela dépend aussi de moi, plus qu'on ne croit, Monsieur; mais c'est mon affaire.
+
+ Savez-vous à quoi je pense, mon vieil ami ?
+ C'est que l'honneur ne peut pas toujours être compris de la même façon.
+ Dans la passion, le meurtre peut être sublime ; mais dans l'indifférence, il serait ridicule, et dans un homme d'état ou un homme de cour, par ma foi, il serait fou.
+
+ Tenez, regardez !
+ Moi, par exemple, je sors de chez le roi.
+ Il a eu la bonté de me parler d'affaires assez longtemps.
+ Il regrette Monsieur_d_Orvilliers, mais il l'abandonne à ses ennemis, et le laisse quitter le commandement de la flotte avec laquelle il a battu les Anglais.
+ Moi, qui suis l'ami de d_Orvilliers et qui sais ce qu'il vaut, cela m'a fait de la peine ; je viens d'en parler vivement, je me suis avancé pour lui.
+ Le roi m'a écouté volontiers et est entré dans mes raisons.Il m'a présenté ensuite Franklin, le docteur_Franklin, l'imprimeur, l'Américain, l'homme pauvre, l'homme en habit gris, le savant, le sage, l'envoyé du Nouveau-Monde à l'ancien, grave comme le paysan du Danube, demandant justice a l'Europe pour son pays, et l'obtenant de Louis_XVI ; j'ai eu une longue conférence avec ce bon Franklin; je l'ai vu ce matin même présenter son petit-fils au vieux Voltaire, et demander à Voltaire une bénédiction, et Voltaire ne riant pas, Voltaire étendant les mains aussi gravement qu'eût fait le souverain pontife, et secouant sa tête octogénaire avec émotion, et disant sur la tête de l'enfant : Dieu et la liberté !
+ - C'était beau, c'était solennel, c'était grand.
+
+ Et au retour, le roi m'a parlé de tout cela avec la justesse de son admirable bon sens ; il voit l'avenir sans crainte, mais non sans tristesse; il sent qu'une révolution partant de France peut y revenir.
+ Il aide ce qu'il ne peut empêcher, pour adoucir la pente ; mais il la voit rapide et sans fond, car il pense et parle en législateur quand il est avec ses amis. Mais l'action l'intimide.
+ Au sortir de l'entretien, il m'a donné ma part dans les événements présents et à venir.
+
+ Voilà ma matinée.
+ - Elle est sérieuse, comme vous voyez, et maintenant, en vérité, m'occuper d'une affaire de... de quoi dirai-je ?
+ De ménage ?...
+ Oh !
+ Non ! -
+ Quelque chose de moins que cela encore Une affaire de boudoir et d'un boudoir que je n'ai jamais vu... en bonne vérité, vous le sentez, cela ne m'est guère possible.
+ Un sourire de pitié est vraiment tout ce que cela me peut arracher.
+ Je suis si étranger à cette jeune femme, moi, que je n'ai pas le droit de la colère, mais elle porte mon nom, et quant à ce qu'il y a dans ce petit événement, qui pourrait blesser l'amour propre de l'un ou l'intérêt de l'autre, fiez vous-en à moi pour ne tirer d'elle qu'une vengeance de bonne compagnie.
+ Pauvre petite femme !
+ Elle doit avoir une peur d'enfer !
+
+ Venez-vous avec moi voir la marquise au Petit-Trianon ?
+ Je l'ai trouvée assez pâle ce matin, elle m'inquiète.
+
+ Ce soir, à_onze_heures, on me tiendra un carrosse prêt pour aller à Paris.
+ Passez, mon cher Tronchin.
+
+ Je n'ai plus qu'à les laisser faire à présent.
+
+ Quelle heure est-il ?
+
+ Onze_heures_et_demie, Madame, et Monsieur_le_Chevalier....
+
+ Il ne viendra plus à présent.
+ Il a bien fait de ne pas venir aujourd'hui.
+ - J'aime mieux ne pas l'avoir vu.
+ J'ai bien mieux pleuré. -
+
+ Chez qui peut-il être allé ?
+ - À présent, je vais être bien plus jalouse, à présent que je suis si malheureuse !
+ - Quels livres m'a envoyés l'abbé ?
+
+ Les_Contes_de_Monsieur_l_abbé_de_Voisenon.
+
+ Et le chevalier ?
+
+ Le_Petit_Carême_et_l_Imitation.
+
+ Ah !
+ Comme il me connaît bien !
+ Sais-tu, Rosette, que son portrait est bien ressemblant !
+ Tiens, il avait cet habit-là quand la reine lui a parlé si longtemps, et pendant tout ce temps-là, il me regardait de peur que je ne fusse jalouse.
+ Tout le monde l'a remarqué.
+ Oh !
+ Il est charmant !
+
+ Ah !
+ Que je suis malheureuse, n'est-ce pas, Rosette!
+
+ Oh! oui, Madame.
+
+ Il n'y a pas de femme plus malheureuse que moi sur toute la terre.
+
+ Oh !
+ Non, Madame.
+
+ Je vais me coucher...
+ Laissez-moi seule, je vous rappellerai.
+
+ Je vais faire mes prières.
+
+ Rosette !
+ Rosette !
+
+ Madame !
+
+ Quoi donc ?
+
+ Madame m'a appelée.
+
+ Ah !
+ Je voulais... mon peignoir.
+
+ Madame_la_Duchesse l'a sur elle.
+
+ J'en voulais un autre.
+ - Non, restez avec moi, j'ai peur.
+ - Restez sur le sofa, je vais lire.
+
+ Je n'ose pas faire un signe de croix.
+ - À quelle heure le chevalier vient-il demain matin ?
+ Ah !
+ Je suis la plus malheureuse femme du monde.
+
+ Allons, mets dans la ruelle un flambeau et la_Nouvelle_Héloïse.
+
+ Jean-Jacques !
+ Ah !
+ Jean-Jacques !
+ Vous savez, vous, combien d'infortunes se cachent sous le sourire d'une femme.
+
+ On frappe à la porte !
+ Ce n'est pas ici, j'espère !
+
+ J'ai entendu un carrosse s'arrêter à la porte de l'hôtel.
+
+ En es-tu bien sûre, Rosette ?
+ À minuit !
+
+ C'est bien à la porte de Madame_la_Duchesse, un carrosse avec deux laquais qui portent des torches ; c'est la livrée de Madame.
+
+ Eh !
+ Bon Dieu !
+ Serait-il arrivé quelque événement chez ma mère ?
+ Je suis dans un effroi !
+
+ J'entends marcher! on monte chez madame la duchesse.
+
+ Mais qu'est-ce donc ?
+
+ Demande avant d'ouvrir.
+
+ Qui est là ?
+
+ Monsieur_le_Duc arrive de Versailles !
+
+ Monsieur_le_Duc arrive de Versailles !
+
+ Monsieur_le_Duc !
+ Depuis deux ans !
+ Lui !
+ Depuis deux ans !
+ Jamais !
+ Et aujourd'hui !
+ À cette heure !
+ Ah !
+ Que vient-il faire, Rosette ?
+ Il vient me tuer !
+ Cela est certain !
+ - Embrasse-moi, mon enfant, et prends ce collier, tiens, et ce bracelet, tiens, en souvenir de moi.
+
+ Je ne veux pas de tout cela !
+ Je ne quitterai point Madame_la_Duchesse !
+
+ Eh bien !
+ Quoi !
+ Madame_la_Duchesse est au lit.
+
+ Monsieur le duc demande si madame la duchesse peut le recevoir.
+
+ Non !
+
+ Non !
+
+ Plus poliment, Rosette : Madame est endormie.
+
+ Madame est endormie !
+
+ Monsieur le duc dit que vous avez dû la réveiller, et qu'il attendra que Madame_la_Duchesse puisse le recevoir.
+ Il a à lui parler.
+
+ Monsieur_le_Duc veut que madame se lève !
+
+ Ah !
+ Mon Dieu !
+ Il sait tout, il vient me faire mourir.
+
+ Madame !...
+
+ Eh bien ?
+
+ Madame, je ne le crois pas !
+
+ Et pourquoi ne le crois-tu pas ?
+
+ Madame, parce que les gens ont l'air gai !
+
+ Ils ont l'air gai ?
+ - Mais c'est encore pis.
+ Oh !
+ Mon pauvre chevalier !
+
+ Hélas !
+ Madame_la_Duchesse, quel malheur d'être la femme de Monsieur_le_Duc !
+
+ Quelle horreur !
+ Quelle insolence!
+
+ Et s'il vient par jalousie !
+
+ Quel étrange amour !
+ Voilà qui est odieux !
+ Écoute !
+ Il ne peut venir que par fureur ou par passion ; de toute façon c'est me faire mourir. Tue-moi, je t'en prie.
+
+ Non, Madame !
+ Moi, tuer Madame !
+ Cela ne se peut pas.
+
+ Eh bien !
+ Au moins va dans mon cabinet.
+ Tu écouteras tout, et dès que je sonnerai, tu entreras.
+ Je ne veux pas qu'il reste plus d'un quart d'heure ici, quelque chose qu'il me veuille dire.
+ Hélas !
+ Si le chevalier le savait !
+
+ Oh !
+ Madame !
+ Il en mourrait d'abord !
+
+ Pauvre ami !
+ - S'il se met en colère, tu crieras au feu !
+ Au bout du compte, je ne le connais pas, moi, mon mari !
+
+ Certainement !
+ Madame ne l'a jamais vu qu'une fois.
+
+ Oh !
+ Mon Dieu !
+ Ayez pitié de moi !
+
+ On revient, Madame.
+
+ Allons, du courage !
+ - Mademoiselle, dites que je suis visible.
+
+ Madame_la_Duchesse est visible.
+
+ Mon Dieu !
+ Ayez pitié de moi !
+
+ Monsieur_le_Duc.
+
+ Eh bien !
+ Madame, comment vous trouvez-vous ?
+
+ Mais, Monsieur, un peu surprise de vous voir, et confuse de n'avoir pas eu le temps de m'habiller pour vous.
+
+ Oh !
+ N'importe, n'importe, je ne tiens pas au cérémonial.
+ D'ailleurs on peut paraître en négligé devant son mari.
+
+ Son mari !
+ Hélas !
+
+ Oui, certainement son mari.
+ Mais ce nom-là je vous avoue.
+
+ Oui, oui...
+ J'entends, vous n'y êtes pas plus habituée qu'à ma personne.
+
+ C'est ma faute.
+
+ C'est ma très grande faute, ou plutôt c'est la faute de tout le monde.
+
+ Qui peut dire en ce monde, et dans le monde surtout, qu'il n'ajoute pas par sa conduite aux fautes des autres ?
+ Dites-le-moi,Madame?
+
+ Ah !
+ Je crois bien que vous avez raison, Monsieur ; vous savez le monde mieux que moi !
+
+ Mieux que vous !
+ Mieux que vous, Madame !
+ Cela n'est parbleu pas facile.
+ Je n'entends parler à Versailles que de votre grâce dans le monde, vous faites fureur !
+ On n'a que votre nom à la bouche.
+ C'est une rage.
+
+ Moi...
+ Je l'avoue, cela...
+ Cela m'a piqué d'honneur !
+
+ Ô ciel !
+ Piqué d'honneur !
+ Que veut-il dire ?
+
+ Çà !
+ Voyons !
+ Regardez-moi bien !
+ Me reconnaissez-vous ?
+
+ Sans doute, Monsieur_le_Duc, j'aurais bien mauvaise grâce à ne pas...
+
+ Me dire oui ?
+ N'est-ce pas ?
+ Ce n'est pas cette docilité qu'il me faut, c'est de la franchise.
+
+ De là...
+
+ De la franchise, Madame.
+
+ J'aurai beaucoup à vous dire cette nuit, et des choses fort sérieuses !
+
+ Quoi !
+ Cette nuit, Monsieur !
+ Y pensez-vous ?
+
+ J'y ai pensé, Madame, pendant tout le chemin de Versailles et un peu avant aussi.
+
+ Il sait ma faute !
+ Il la sait !
+ Tout est fini !
+
+ Oui, j'ai le projet de ne partir que demain matin au jour, et vos gens et les miens doivent être couchés à présent.
+
+ Mais ce n'est pas moi qui l'ai ordonné.
+
+ Alors, Madame, si ce n'est vous, il faut donc que ce soit moi.
+
+ Il restera.
+
+ Demain j'arriverai à temps pour le petit lever.
+ - C'est une pendule_de_Julien_le_Roy que vous avez là ?
+
+ Un sang-froid à n'y rien comprendre !
+ - Quelle inquiétude il me donne !
+
+ Ah !
+ Ah !
+ Voici quelques livres !
+ C'est bien ce que l'on m'avait dit : vous aimez l'esprit, et vous en avez ; oh !
+ Je sais que vous en avez beaucoup, et du bon, du vrai, du meilleur esprit.
+ - C'est Monsieur_de_Voltaire !
+ - Oh !
+ Zaïre !
+ - Zaïre, vous pleurez !
+ Lekain dit cela comme ça, n'est-ce pas ?
+
+ Je ne l'ai pas vu, Monsieur.
+
+ Ah !
+ C'est vrai !
+ Je sais que vous êtes un peu dévote, vous n'allez pas à la comédie, mais vous la lisez.
+ Vous lisez la comédie... pour la jouer, jamais !
+
+ Oh !
+ Jamais !
+
+ On ne m'y a pas élevée, Monsieur, fort heureusement pour moi.
+
+ Et pour votre prochain, Madame, mais je suis sûr qu'avec votre esprit vous la joueriez parfaitement...
+ Tenez (nous avons le temps), si vous étiez la belle Zaïre, soupçonnée d'infidélité par Orosmane.
+
+ Ah !
+ C'est ma mort qu'il a résolue !
+ - Rosette, prenez garde !
+ Rosette, faites bien attention !
+
+ En vérité, Madame, c'est le plus généreux des mortels que ce soudan Orosmane ; n'ayez donc pas peur de lui.
+ S'il entrait ici, par exemple, disant avec la tendresse que met Lekain dans cette scène-là :
+
+ Monsieur !
+ Avez-vous quelque chose à me reprocher ?...
+
+ Ah !
+ Le mauvais vers que voilà.
+ Eh !...
+ Bon Dieu, que dites-vous donc là !
+ Ce n'est pas dans la pièce.
+
+ Eh !
+ Monsieur, je ne dis pas de vers, je parle.
+ On ne vient pas à minuit chez une femme pour lui dire des vers aussi.
+
+ Eh !
+ Croyez-vous donc que ce soit là ce qui m'amène ?
+ Causons un peu en amis.
+
+ Çà !
+ Vous est-il arrivé quelquefois de songer à votre mari, par extraordinaire,là, un beau malin, en vous éveillant ?
+
+ Eh !
+ Monsieur, mon mari pense si peu à sa femme, qu'il n'a vraiment pas le droit d'exiger la moindre réciprocité.
+
+ Eh !
+ Qui donc vous a pu dire, ingrate, qu'il ne pensait pas à vous ?
+ Était-il en passe de vous l'écrire ?
+ C'eût été ridicule à lui. Vous le faire dire par quelqu'un, c'était bien froid.
+ Mais venir vous le jurer chez vous et vous le prouver, voilà quel était son devoir.
+
+ Me le jurer !
+ Ah !
+ Pauvre chevalier !
+
+ Me le jurer, Monsieur !
+ Et me jurer quoi, s'il vous plaît ?
+ Vous êtes-vous jamais cru obligé à quelque chose envers moi ?
+ Que vous suis-je donc, Monsieur, sinon une étrangère qui porte votre nom ?...
+
+ Et peut le donner, Madame
+
+ Ah !
+ Monsieur_le_Duc, faites-moi grâce.
+
+ Grâce !
+ Madame, et de quoi grâce, bon Dieu !
+ - Ah !
+ Je comprends ; vous voulez que je vous fasse grâce de mes compliments, de mes tendresses et de mes fadeurs.
+ Eh !
+ Je le veux bien. Tant qu'il vous plaira !
+ Parlons d'autre chose.
+
+ Quelle torture !
+
+ Savez-vous de qui ces tableaux-là sont les portraits ?
+ Je suis sur que vous ne les regardez jamais.
+ Ces braves gens cuirassés sont mes aïeux, ils sont anciens ; nous sommes, ma foi, très anciens, aussi anciens que les Bourbons ; savez-vous, mon nom est celui d'un connétable, de cinq maréchaux de France, tous pairs des rois, et parents et alliés des rois, et élevés avec eux dès l'enfance, camarades de leur jeunesse, frères d'armes de leur âge d'homme, conseillers et appuis de leur vieillesse.
+ C'est beau !
+ C'est assez beau pour que l'on s'en souvienne, et quand on s'en souvient, il n'est guère possible de ne pas songer que ce serait un malheur épouvantable, une désolation véritable dans une famille, que de n'avoir personne à qui léguer ce nom, sans parler de l'héritage qui ne laisse pas que d'être considérable.
+ Cela ne vous a-t-il jamais affligée?
+
+ Eh !
+ Monsieur, je ne vois pas pourquoi je m'en affligerais quand vous n'y pensez jamais.
+ Après tout, c'est de votre nom qu'il s'agit, et non du mien.
+
+ Eh quoi !
+ Élisabeth !
+
+ Élisabeth ?
+ Vous vous croyez ailleurs, je pense.
+
+ Eh !
+ N'est-ce pas Élisabeth que vous vous nommez ?
+ Quel est donc votre nom de baptême ?
+
+ Baptême !
+ Le nom du baptême !
+ C'est vous qui demandez le nom que l'on m'a donné !
+ Je voudrais bien savoir ce qu'eût dit mon pauvre père, qui tenait tant à ce nom là,
+
+ et vous, je ne vous le dirai pas, si quelqu'un lui eût dit : Eh bien !
+ Ce nom si doux, son mari ne daignera pas le savoir.
+
+ Du reste, cela est juste !
+
+ Les noms de baptême sont faits pour être dits par ceux qui aiment et pour être inconnus à ceux qui n'aiment pas.
+
+ Il est bien que vous ne sachiez pas le mien, et c'est bien fait... et je ne vous le dirai pas.
+
+ Ah çà !
+ Mais comme elle est gentille !
+ Suis-je fou de me prendre les doigts à mon piège ?
+ C'est qu'elle est charmante, en vérité.
+
+ Eh !
+ Pourquoi saurais-je ce nom d'enfant, Madame ?
+ Qu'est-ce pour moi, je vous prie, que la jeune fille enfermée au couvent jusqu'à ce qu'on me la donne sans que je sache seulement son âge ?
+ C'est la jeune femme connue sous mon nom qui m'appartient ; celle-là seule est mienne, Madame, puisque, pour la nommer, il faut, qu'on me nomme moi-même.
+
+ Monsieur le duc voulez-vous me rendre folle ?
+ Je ne comprends plus rien ni à vos idées, ni à vos sentiments, ni à mon existence, ni à vos droits ni aux miens ; je ne suis peut-être qu'une enfant !
+ J'ai peut-être été toujours trompée. Dites-moi ce que vous savez de la vie réelle du monde ?
+ Dites-moi pourquoi les usages sont contre la religion, et le monde contre Dieu ?
+ Dites-moi si notre vie a tort ou raison ; si le mariage existe ou non ; si je suis votre femme, pourquoi vous ne m'avez jamais revue, et pourquoi l'on ne vous en blâme pas ; si les serments sont sérieux, pourquoi ils ne le sont pas pour vous ; si vous avez, et si j'ai moi-même le droit de jalousie ?
+ Dites-moi ce que signifie tout cela ?
+ Qu'est-ce que ce mariage du nom et de la fortune, d'où les personnes sont absentes, et pourquoi nos hommes_d_affaires nous ont fait paraître dans ce marché ?
+ Dites-moi si le droit qu'on vous a donné était seulement celui de venir me troubler, me poursuivre chez moi quand il vous plaît d'y tomber comme la foudre, au moment où l'on s'y attend le moins, à tout hasard, au risque de me causer la plus grande frayeur, sans ménagements, sans scrupules, la nuit, dans mon hôtel, dans ma chambre, dans mon alcôve, là !
+
+ Ah !
+ Madame, les beaux yeux que voilà !
+ Aussi éloquents que votre bouche lorsqu'un peu d'agitation la fait parler.
+ - Eh bien !
+ Quoi !
+ Voulez-vous que je vous explique une chose inexplicable ?
+ Voulez-vous que je fasse du pédantisme avec vous?
+ Faut-il que je m'embarque avec vous dans les phrases ?
+ Exigez-vous que je vous parle du grand monde, et que je vous raconte l'histoire de l'hymen ?
+ - Vous dire comme le mariage, d'abord sacré, est devenu si profane à la cour, et si profané surtout ; vous dire comment nos vieilles et saintes familles sont devenues si frivoles et si mondaines, comment et par qui nous fûmes tirés de nos châteaux et de nos terres pour venir nous échelonner dans une royale antichambre, comment notre ruine fastueuse a nécessité nos alliances calculées, et comment on les a toutes réglées en famille, d'avance et dès le berceau (comme la nôtre, par exemple), vous raconter comment la religion (irréparable malheur peut-être !) s'en est allée en plaisanteries, fondue avec le sel attique dans le creuset des philosophes; vous décrire par quels chemins l'Amour est venu se jeter à travers tout cela, pour élever son temple secret sur tant de ruines, et comment il est devenu lui-même quelque chose de respecté et de sacré, pour ainsi dire, selon le choix et la durée : vous raconter, vous expliquer, vous analyser tout cela, ce serait par trop long et par trop fastidieux, vous en savez, je gage, autant que moi sur beaucoup de ces choses.
+
+ Hélas!
+ À vous vrai dire, Monsieur, si je les sais un peu, comme vous le savez beaucoup, il me semble, j'en souffre plus que je n'en suis heureuse, et je ne sais quelle fin peut avoir un monde comme le nôtre.
+
+ Eh !
+ Bon_Dieu !
+ Madame, qui s'en inquiète à l'heure qu'il est, si ce n'est vous ?
+ Personne, je vous jure, pas même chez ceux que cela touche de plus près.
+ Respirons en paix, croyez-moi !
+ Respirons, tel qu'il est, cet air empoisonné, si l'on veut, mais assez embaumé, selon mon goût, de l'atmosphère où nous sommes nés, et dirigeons-nous seulement lorsqu'il le faudra, selon cette loi que, ma foi, je ne vis jamais nulle part écrite, mais que je sentis toujours vivante en moi, la loi de l'honneur.
+
+ L'honneur !
+ Oui !
+ Mais cet honneur, en quoi le faites-vous consister, Monsieur_le_duc ?
+
+ Il est dans tous les instants de la vie d'un galant homme, Madame, mais il doit surtout le faire consister dans le soin de soutenir la dignité de son nom et...
+
+ Encore cette idée !
+ Ô mon_Dieu !
+ Mon_Dieu !
+
+ ... Et en supposant qu'on eût porté quelque atteinte à la pureté de ce nom, il ne doit hésiter devant aucun sacrifice pour réparer l'injure ou la cacher éternellement.
+
+ Aucun sacrifice ne vous coûterait-il, Monsieur ?
+
+ Aucun, Madame, en vérité.
+
+ En vérité ?
+
+ Sur ma parole !
+ Aucun !
+ Fallût-il un meurtre !
+
+ Ah !
+ Je suis perdue !
+ Ah !
+ Mon Dieu !
+
+ Fallût-il me jeter à vos pieds et les couvrir de baisers, et m'humilier pour rentrer en grâce !
+
+ Ah !
+ Pauvre chevalier !
+ Nous sommes perdus !
+ Je n'oserai plus le revoir.
+
+ Ah çà !
+ Voyons, mon enfant, touchez là.
+
+ Quoi donc !
+
+ Touchez là, vous dis-je ; une fois seulement donnez-moi la main, c'est tout ce que je vous demande.
+
+ Comment !
+ Monsieur.
+
+ Oui, vraiment, touchez là bien franchement, en bonne et sincère amie ; je ne veux point vous faire de mal, et toute la vengeance que je tirerais de vous (si vous m'aviez offensé), ce serait cette frayeur que je viens de vous faire.
+ Asseyez-vous.
+ - Je vais partir.
+
+ Voici le jour qui vient !
+ Il me faut le temps d'arriver à Versailles.
+
+ Écoutez bien.
+ Il n'y a rien que je ne sache.
+ À vrai dire, je ne me sens nulle colère et nulle haine pour vous.
+
+ N'ayez, je vous prie, nulle haine contre moi, non plus.
+ Nous avons chacun nos petits secrets.
+ Vous faites bien, et je crois que je ne fais pas mal de mon côté.
+ Restons- en là !
+ Je ne sais si tout cela nous passera, mais nous sommes jeunes tous les deux, nous verrons.
+ - Soyez toujours bien assurée que mon amitié ne passera pas pour vous...
+ Je vous demande la vôtre, et
+
+ N'ayez pas peur, je ne reviendrai vous voir que quand vous m'écrirez de venir.
+
+ Êtes-vous donc si bon, Monsieur ?
+ Et je ne vous connaissais pas !
+
+ Pardonnez-moi cette mauvaise nuit que je vous ai fait passer.
+ Je vous ai dit que je tenais à notre nom...
+ En voici la preuve : vos gens et les miens m'ont vu entrer, ils me verront sortir, et pour le monde c'est tout ce qu'il faut.
+
+ Ah !
+ Monsieur_le_Duc, quelle bonté et quelle honte pour moi !
+ Où me cacher, Monsieur ?
+ J'irai dans un couvent.
+
+ C'est trop !
+ C'est beaucoup trop !
+ Je n'en crois rien, et je ne le souhaite pas.
+ Du reste, il n'en sera que ce que vous voudrez ; adieu, moi, je vous ai sauvée en sauvant les apparences.
+
+ Ah !
+ Madame !
+ L'ennemi est parti.
+
+ L'ennemi !
+ Ah !
+ Taisez-vous.
+ - L'ennemi !
+ Ah !
+ Je n'ai pas de meilleur ami.
+
+ Toujours est-il que nous en voilà QUITTES POUR LA PEUR.
+