Grâce à nos yeux, l'organe sensible de la vision, nous pouvons aisément et instantanément partir à la découverte du monde visible qui nous entoure. C'est littéralement un miracle et la vision opère sans effort malgré la complexité des processus qui sont mis en œuvre. Toutefois, des problèmes en relation avec la vision peuvent arriver, et si certains peuvent être corrigées par le port de lunettes, des problèmes plus sévères existent, comme des affections rétiniennes pouvant entraîner des handicaps importants.
Ces problèmes de vision peuvent être dus à des facteurs génétiques, mais aussi à des facteurs environnementaux, comme l'exposition à des substances toxiques ou à des traumatismes. Dans ce cas, la recherche médicale peut apporter des solutions, mais il est aussi possible de s'inspirer de la nature pour concevoir des solutions innovantes. En effet, la nature a inventé de nombreuses solutions pour la vision, et l'exploration de la diversité des yeux dans le règne animal peut nous aider à mieux comprendre notre propre vision et à répondre à la question : "Comment l'œil a-t-il été inventé ?"
L'œil humain suscite un émerveillement immédiat quand on considère son fonctionnement ingénieux. En effet, notre vision nous permet de capturer en continu des images riches de millions de couleurs et en haute définition avec, en bonus, une relative perception de la profondeur. Notre œil peut fonctionner dans des conditions de lumière très variées, du plein soleil à la lueur de la lune, et s'adapter à différentes situations de visibilité. Tout cela se déroule de manière autonome, avec une consommation d'énergie bien plus faible que n'importe quel dispositif artificiel.
Cette exploration peut avoir des applications technologiques futures, mais surtout, elle va nous aider à mieux comprendre notre propre vision et à répondre à la question : "Comment l'œil a-t-il été inventé ?"
Les yeux des humains, des chats et des moutons présentent une grande variabilité dans leurs formes, mais partagent également de nombreux traits communs. Il semble donc qu'ils aient évolué selon des trajectoires distinctes et indépendantes, tout en ayant probablement un ancêtre commun. Si l'on remonte encore plus loin dans les branches de "l'arbre du vivant", on découvre une autre forme d'œil radicalement différente. Au lieu de focaliser une image sur la rétine grâce au cristallin, ces yeux sont composés de multiples éléments oculaires allongés et juxtaposés.
L'exemple le plus frappant de cette configuration est celui de la mouche. Les yeux d'une mouche commune comportent environ dix mille facettes organisées suivant une grille hexagonale relativement régulière, chacune des facettes comprenant une lentille et une poignée de photorécepteurs. Cette structure permet à la mouche d'avoir un champ de vision panoramique et leur permet d'exécuter des manœuvres impressionnantes, avec des accélérations dignes des meilleurs avions de chasse. Plus surprenant encore, ce système pèse moins d'un gramme et consomme très peu d'énergie. Comprendre ce mécanisme pourrait être extrêmement précieux pour guider la conception de futurs robots volants.
La redécouverte de la richesse des formes du vivant a permis de s'en inspirer, une démarche qui s'est récemment épanouie dans l'approche biomorphique. Une illustration récente est l'étude du comportement d'une fourmi du désert qui est sensible à la polarisation de la lumière. En effet, la lumière possède, en plus de son énergie et de sa couleur, cette propriété qui peut notamment être filtrée sélectivement. C'est cette propriété qui est utilisée par les lunettes de cinéma 3D pour présenter des images différentes à chaque œil, créant ainsi une impression de profondeur.
Sans ce genre de lunettes, nous sommes naturellement insensibles à la polarisation de la lumière, contrairement à ces fourmis qui sont notamment capables de détecter dans le ciel la forme structurée des nuances de polarisation autour du soleil, leur permettant ainsi d'en déterminer sa position. Une équipe de chercheurs dirigée par Stéphane Viollet à Marseille a développé un robot utilisant cette propriété, leur système pouvant repérer avec précision la position du soleil dans le ciel dans diverses conditions météorologiques, même lorsque le ciel est nuageux. Cette technologie pourrait servir les systèmes de navigation en complément des GPS qui peuvent être défaillants ou inaccessibles.
Une autre avancée notable est l'émergence de nouvelles caméras inspirées du fonctionnement de la rétine et notamment de sasortie suivant le nerf optique (voir Figure @fig:oeil). Ces caméras sont dites événementielles, car au lieu de représenter toute l'image à des intervalles réguliers (par exemple 30 images par seconde) comme le fait une caméra classique, elles ne transmettent que les événements correspondant à des changements de luminance (voir Figure @fig:event). Ainsi, les informations sont transformées indépendamment par les neurones de sortie de cette rétine artificielle, sans nécessité d'une horloge centrale, et avec une précision temporelle de l'ordre de la microseconde qui dépasse largement celle des capteurs classiques. Cela permet de réduire considérablement le flux d'informations, mais aussi de représenter bien plus finement des scènes dynamiques à un coût énergétique cent fois moindre.
L'utilisation de ces caméras représente un changement de paradigme par rapport aux caméras classiques. À l'instar de la rétine biologique, seules les parties dynamiques de l'image comme les contours des objets en mouvement sont représentées. Cette nouvelle représentation exige de concevoir de nouveaux algorithmes de traitement d'image et s'accompagne d'une révolution dans la conception de puces électroniques. Ainsi, de nouvelles technologies inspirées du fonctionnement du cerveau permettent de créer des puces où le calcul est extrêmement parallélisé, bien plus efficacement que les puces traditionnelles. Cette ingénierie neuromorphique pourrait révolutionner les futurs systèmes de vision artificielle en particulier grâce à leur efficacité énergétique bien supérieure. Ce point est crucial pour des systèmes embarqués qui doivent répondre à des impératifs de consommation énergétique et d'impact environnemental liés à la transition écologique, comme dans les voitures autonomes du futur.
L'exploration que nous venons de faire de la diversité des yeux dans le règne animal nous a permis une interaction riche entre les connaissances fondamentales et appliquées dans le domaine de la vision.
Cette compréhension a des implications profondes, tant du point de vue des applications technologiques que de la recherche fondamentale. Elle nous pousse à élargir notre vision de ce qui est possible de réaliser en matière de conception de systèmes visuels, en nous inspirant de la nature pour créer des solutions innovantes, plutôt que de se limiter à l'amélioration de modèles basés sur la simple analogie de l'œil avec un appareil photo. Les découvertes sur les systèmes visuels des animaux, associées aux avancées technologiques telles que les caméras événementielles, ouvrent des perspectives passionnantes dans des domaines tels que la robotique, la navigation autonome et le traitement des images, notamment dynamiques. Il s'ensuit que cette compréhension approfondie de la vision dans le règne animal va servir d'inspiration pour repousser les limites de la technologie et de la compréhension scientifique.