Skip to content

Latest commit

 

History

History
20 lines (10 loc) · 11.6 KB

Explication_du_projet.md

File metadata and controls

20 lines (10 loc) · 11.6 KB

Introduction du sujet

Depuis toujours, comme l’expliquait déjà fièrement Grisélidis Réal, « La prostituée est une paria, une femme niée, maudite. Publiquement, elle n’existe pas. ». De fait« Les prostituées forment l’unique prolétariat dont la condition émeut autant la bourgeoisie. […] Dormir dehors à quarante ans n’est interdit par aucune législation. La clochardisation est une dégradation tolérable. » annonce Virginie Despentes dans King Kong Theorie. « Être pute, c’est être féministe » rajoutent Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser.

Ces discours apparemment surprenants sur la prostitution ne le sont que parce qu’ils ont été tenus par des personnes concernées, ou qui l’ont été, et qu’ils expriment ainsi une réalité bien loin de la vision fantasmée des débats de personnes non-concernées que les médias mainstream retransmettent généralement. Il s’agira donc dans un premier temps de faire quelques remarques sur la prostitution qui permettront de comprendre les enjeux réels liés à cette activité, tout en mettant en avant un certain nombre de points qui se révéleront importants dans la suite de ce TIPE.

Avant toute chose, éclairons les choix d’écriture qui auront été faits dans ce TIPE. Par prostitution, nous évoquons le métier, librement choisi et consenti (ou du moins autant que l’est tout autre métier). L’esclavage sexuel, ainsi que la « prostitution des mineur.e.s », trop souvent assimilé.e.s à de la prostitution, n’en sont pas véritablement puisqu’iels n’impliquent par définition pas le consentement éclairé lié à l’exercice de cette activité. De plus, ce rapport sera rédigé en écriture inclusive, par conviction mais aussi pour rappeler que si la majorité des prostitué.e.s sont des femmes, un grand nombre d’entre elleux sont d’autres genres et il est important de ne pas les occulter. De même, si la grande ajorité des client.e.s sont des hommes, certain.e.s sont des personnes sexisées. Enfin, nous parlerons alternativement de prostitué.e.s et de travailleur.euse.s du sexe (que nous noterons tds) : si le travail du sexe englobe d’autres activités, la prostitution en fait bien partie et cela permet une meilleure représentation de personnes aux activités et compétences variées.

Parlons tout d’abord du stigma pesant sur les prostitué.e.s, ces « paria[s] », « nié[.e.s], maudit[.e.s] ». Le mot « pute » est généralement employé comme une insulte, suite à une longue tradition d’abaissement et d’exclusion des prostitué.e.s. Iels auraient n’auraient aucune morale, ce qui justifierait le mépris généralisé que la société leur porte, les imaginant souvent comme de pauvres filles perdues, « sales », qu’il convient d’ignorer et de marginaliser (en témoigne l’exclusion progressive des camionnettes de prostitué.e.s du centre de Lyon). Iels sont victimes d’insultes particulièrement violentes liées à leur métier, et la révélation de celui-ci s’ensuit souvent de lourdes conséquences : rupture des liens familiaux, placement des enfants en foyer, licenciement,… Le sujet est brûlant et souvent difficilement abordé dans les médias, de telle sorte que le débat tourne exclusivement autour de préjugés que portent des personnes non-concernées sur ce métier. Il divise en particulier les féministes, entre les abolitionnistes ou SWERFs (Sex-Workers Exclusionnary Radical Feminists), qui considèrent que le travail du sexe relève de la soumission de la femme à l’homme, et que la prostitution est du viol tarifé ; et celleux qui considèrent que le tds est un travail comme un autre, qui n’est d’ailleurs pas pratiqué exclusivement par des femmes, et que, dans tous les cas, invisibiliser les prostitué.e.s et leur interdire de travailler ne fera pas disparaître le « plus vieux métier du monde » mais ne fera que rendre ses conditions d’exercice plus difficiles.

L’idée que « Être pute, c’est être féministe » paraît alors particulièrement transgressive. Mais peut-être y trouve-t-on une partie de l’explication du stigma flottant autour du tds. En effet, si les stigmates des sociétés occidentales sur le sexe et l’argent comptent probablement parmi les raisons les plus évidentes de ce stigma, il y en a des moins évidentes mais au moins aussi importantes. De fait la prostitution est surtout pratiquée par des personnes sexisées (non hommes cisgenres) : historiquement, elle a été l’unique façon pour une femme de gagner de l’argent sans être dépendante d’un homme. Aujourd’hui, elle est toujours avant tout pratiquée par des personnes discriminées (sexisées mais aussi racisées, handicapées, sans-papiers, etc.) pour qui l’insertion dans le marché « ordinaire » du travail est particulièrement difficile : certainement est-il alors plus simple de la considérer comme un sous-métier, voire comme une exploitation, pour éviter de considérer que ces personnes puissent être indépendantes et pouvoir ainsi perpétuer l’oppression que les autres groupes ont sur elles. Mais la prostitution nous pousse aussi à remettre en question un certain nombre de systèmes établis. Ainsi Paola Tabet dans La Grande Arnaque, Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, explique que ce métier s’inscrit dans un « continuum de l’échange économico-sexuel entre les hommes et le femmes […], qui va des formes matrimoniales jusqu’aux prestations de la prostitution professionnelle, en passant par toute la gamme des bénéfices professionnels, dont les femmes peuvent tirer parti si elles acceptent le « service sexuel », autrement dit si elles acceptent de coucher avec tout détenteur d’un pouvoir institutionnel, économique, politique ». Plus encore que le mariage et l’oppression patriarcale, la prostitution interroge aussi notre rapport au travail. Peu d’études ont été menées sur le sujet, mais l’idée revient souvent dans les discussions entre tds que l’un des avantages principaux de ce métier tient à l’autonomie qu’il permet sur la gestion de son temps, sur le choix des interactions sociales, et plus globalement sur leur indépendance, souvent difficiles à obtenir dans le salariat traditionnel, en particulier pour les personnes précarisées.

Mais ce stigmate a des conséquences bien concrètes sur les prostitué.e.s, qui vont plus loin que la putophobie qu’iels subissent quotidiennement. Il a en effet empêché tout débat sérieux sur le sujet, prenant en compte les concerné.e.s, de telle sorte que les lois formulées sur le métier ne prennent systématiquement pas en compte la réalité des pratiques et du vécu de ses exerçant.e.s. Le cadre légal condamne ainsi le proxénétisme, ce qui pourrait être positif s’il ne jugeait pas proxénète toute personne recevant de l’argent d’un.e prostitué.e, ou l’aidant à exercer d’une façon ou d’une autre. Distribuer des préservatifs est donc du proxénétisme ; donner des conseils élémentaires de sécurité à un.e débutant.e aussi ; être marié.e à un.e prostitué.e aussi ; louer un appartement à l’un.e d’entre elleux aussi. Il va sans dire que cela rend ce métier bien plus difficile qu’autre chose, précarisant les exerçant.e.s qui se voient mettre à la rue lorsque leur métier est révélé, les empêchant d’avoir des relations amoureuses, et mettant en danger celleux qui commencent ce métier. À cette loi sur le proxénétisme est venue s’ajouter en 2016 la loi de pénalisation des client.e.s. Alors que la prostitution elle-même était jusqu’alors interdite, il a été décidé suite à de longs débats d’inverser la charge légale, de telle sorte que les prostitué.e.s ont désormais le droit d’exercer mais que leurs client.e.s n’ont pas le droit d’aller les voir. Ce qui avait pour objectif de faire pencher le rapport de force du côté des prostitué.e.s, qui pourraient aller dénoncer leurs client.e.s, a eu l’effet exactement opposé : iels sont désormais obligé.e.s d’exercer dans des endroits plus discrets, où les risques d’agression sont plus grands ; les client.e.s sont plus en mesure d’imposer leurs conditions car iels prennent de plus grands risques ; par ailleurs, celleux les moins dangereux.ses sont bien moins actif.ve.s en tant que tel.le.s par peur de retombées potentielles ; et cette loi oublie totalement, d’une part, la putophobie que la police a envers les prostitué.e.s, et d’autre part, l’impossibilité pour les personnes sans-papiers et usagères de drogues de porter plainte. Les conséquences de cette loi ont été particulièrement désastreuses pour les prostitué.e.s, devenu.e.s extrêmement précarisé.e.s, bien plus vulnérables aux agressions, ce qui a impact direct sur leur santé mentale. Les suicides et meurtres de personnes prostituées sont de plus en plus fréquents ; et 98% d’entre elleux sont opposé.e.s à la loi de pénalisation des client.e.s.

Ce constat ayant été fait, ce TIPE s’attachera à montrer à quel point les positions abolitionnistes sont néfastes pour les tds, en particulier pour ce qui concerne la propagation du VIH. La plupart des études menées sur le sujet ne considèrent les prostitué.e.s que comme des « réservoirs à sida » (c’est ainsi qu’une campagne des années 1980 les désignait, comme l’explique Anne Copel dans Le Bus des Femmes prostituées, Histoire d’une Mobilisation), sans considérer qu’iels prennent en réalité bien plus de précautions que la majorité de la population. Selon les mots de Lydia Braggiotti, « Ça a toujours fait partie de notre mentalité de lutter contre les maladies sexuellement transmissibles […], on s’est débrouillées, on s’est renseignées, […] on informe nos clients […]. Les Prostituées ne sont pas débiles ». C’est bien une extrême précarité et l’insistance de certain.e.s client.e.s (ou des agressions) qui les amènent parfois à avoir des rapports à risques. Le but de ce TIPE n’est ainsi pas de montrer que les prostitué.e.s sont plus contaminé.e.s que le reste de la population, car ce n’est pas le cas ; mais bien de montrer que les contaminations seraient plus rares avec la légalisation totale de la prostitution. Notons aussi que, si l’on ne décide ici de représenter que les agressions subies à cause de client.e.s, iels ne sont pas plus dangereux.ses que le reste de la population (en particulier des hommes cisgenres) et qu’il serait erroné de les voir ainsi.

Remarque importante : Nous utilisons ici le terme de "légalisation" par opposition à la criminalisation de la prostitution et à la pénalisation des client.e.s. Dans les programmes, l'idée de "légalisation" est construite en parallèle de ces systèmes : sans contrôle de police plus fréquent pour les prostitué.e.s et les client.e.s notamment. Mais cela ne prend pas en compte les personnes sans-papiers, qui même avec une légalisation de la prostitution continueraient à être oppressées (les contrôles ne les viseraient pas en tant que prostitué.e.s mais en tant que personnes travaillant "illégalement", ce qui reste problématique). Le programme présenté ici ne prenant pas en compte la régularisation de la personne ou non, l'abus de langage semblait acceptable. Cependant il faut bien garder en tête que cela ne reste qu'un abus de langage, et que ce que demandent réellement les tds, c'est la décriminalisation totale (sans pénalisation des client.e.s ou autre loi hypocrite d'évitement) de leur métier (ou la régularisation de tout.e.s les sans-papiers, mais ce projet ne semble malheureusement pas faire partie d'un horizon politique proche).